Staan : L'Europe forge sa propre infrastructure de recherche web
L'Europe lance sa première API de recherche web indépendante grâce à l'alliance Qwant-Ecosia, marquant un pas décisif vers la souveraineté numérique face aux géants américains.

Face à l'hégémonie des géants américains, l'Europe concrétise enfin son ambition de souveraineté numérique. L'alliance franco-allemande entre Qwant et Ecosia vient de dévoiler Staan, première API de recherche web entièrement européenne, marquant un tournant dans l'écosystème technologique continental.
Une alliance stratégique née de la nécessité
Le projet Staan a pris forme en novembre 2024, lorsque le français Qwant et l'allemand Ecosia ont officialisé leur partenariat. Cette collaboration s'est matérialisée par la création d'European Search Perspective (EUSP), une coentreprise paritaire basée à Paris.
Les deux acteurs apportent chacun leur philosophie distinctive. Qwant, fondé en 2013 et désormais dans le giron d'OVHCloud via Octave Klaba, a toujours placé la protection des données personnelles au cœur de son modèle. Ecosia, de son côté, s'est imposé comme le moteur écologique par excellence, finançant des projets de reforestation grâce à ses revenus publicitaires.
La hausse spectaculaire des coûts d'accès aux API Microsoft en 2023 (jusqu'à 1000% pour certains services) a finalement catalysé cette union, transformant une contrainte économique en opportunité stratégique.
Une infrastructure souveraine aux multiples atouts
L'innovation de Staan réside dans son architecture 100% européenne. L'API permet aux moteurs de recherche d'accéder à leur propre index sans recourir aux infrastructures américaines, garantissant un accès en temps réel aux données web les plus récentes.
Contrairement aux solutions propriétaires, Staan adopte une approche ouverte. L'infrastructure sera accessible à d'autres moteurs alternatifs européens, créant un écosystème collaboratif plutôt qu'un jardin fermé. Cette philosophie d'ouverture tranche radicalement avec le modèle des géants américains, jaloux de leurs algorithmes et de leurs données.
Le système intègre également un "pool de données transparent et sécurisé" conçu pour développer de nouvelles fonctionnalités, notamment dans le domaine de l'intelligence artificielle.
Déploiement progressif et applications concrètes
Le lancement de Staan suivra un calendrier progressif. Les utilisateurs francophones seront les premiers servis dès le premier trimestre 2025, suivis par les germanophones et anglophones d'ici la fin de l'année.
Outre Qwant et Ecosia, l'API bénéficiera au moteur français Lilo, récemment acquis par Qwant. Cette intégration stratégique élargit l'audience potentielle à 6-7 millions d'utilisateurs mensuels, renforçant la viabilité économique du projet.
L'infrastructure servira également de base à l'entraînement de modèles d'intelligence artificielle européens. Qwant explore déjà des collaborations avec Mistral AI pour développer des technologies de type Retrieval-Augmented Generation (RAG), combinant recherche web et IA sans compromettre la confidentialité des données.
Un pilier pour la souveraineté numérique européenne
Le timing de Staan n'est pas fortuit. L'initiative s'inscrit dans le sillage du Digital Markets Act (DMA), entré en vigueur en mars 2024, qui contraint Google à partager ses données de clics avec les moteurs concurrents.
Le projet rejoint d'autres initiatives comme Openwebsearch.eu, soutenu par l'Union européenne et fédérant 14 partenaires de sept pays. Ces mouvements convergents témoignent d'une prise de conscience collective: l'Europe ne peut plus se contenter d'être un marché lucratif pour les GAFAM, qui y réalisent près de 25% de leur chiffre d'affaires.
Les défis restent considérables face à la domination écrasante de Google (89,95% de parts de marché en France). Cependant, Staan représente bien plus qu'un projet technologique, c'est la matérialisation d'une Europe qui refuse la résignation numérique.
Pour les utilisateurs soucieux de confidentialité et de valeurs européennes, l'alternative se profile enfin à l'horizon. Le chemin sera long, mais la première pierre d'un écosystème numérique souverain vient d'être posée.
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