SFR dépecé à 30 milliards ?
SFR dépecé à 30 milliards : Free et Bouygues négocient le partage des 25M d'abonnés. Orange récupèrerait les fréquences.

SFR s'apprête à vivre un bouleversement sans précédent. L'entrée d'Altice France en procédure de sauvegarde accélérée dès juin 2025 ouvre une séquence de restructuration qui pourrait transformer radicalement le paysage français des télécommunications. Deuxième opérateur mobile du pays avec 25 millions de clients, SFR devient l'objet de toutes les convoitises dans une opération estimée à 30 milliards d'euros.
Cette situation inédite révèle les tensions profondes d'un marché des télécoms français où la guerre des prix a fini par fragiliser même les plus gros acteurs. Pour Patrick Drahi, l'heure n'est plus aux manœuvres financières : il faut désormais dépecer l'empire pour survivre.
Genèse d'une crise annoncée
Patrick Drahi avait bâti son empire sur l'endettement massif et les acquisitions agressives. Depuis son rachat de SFR en 2014 pour 17 milliards d'euros, l'entrepreneur franco-israélien a multiplié les opérations financières complexes, transformant Altice en conglomérat tentaculaire présent des deux côtés de l'Atlantique.
Cette stratégie d'expansion effrénée reposait sur un pari : que la croissance des revenus permettrait d'absorber une dette colossale. Mais le réveil fut brutal. Altice France affichait fin 2024 une dette de 24 milliards d'euros, tandis que SFR perdait plus de 1,5 million d'abonnés mobiles en deux ans. L'équation financière devenait intenable.
L'accord de restructuration négocié en février 2025 avec 90% des créanciers constitue un aveu d'échec. Réduire la dette de 8,6 milliards d'euros et céder 45% du capital aux créanciers traduit l'ampleur des difficultés. Cette opération de sauvetage masque difficilement une réalité : SFR ne peut plus survivre dans sa configuration actuelle.
Anatomie d'un dépeçage stratégique
Le démembrement de SFR obéit à une logique industrielle précise. Chaque acquéreur potentiel vise des actifs complémentaires à sa stratégie, transformant la cession en véritable puzzle géostratégique.
Free et Bouygues Telecom se partagent la base clients
Xavier Niel et Martin Bouygues étudient un partage des 19 millions d'abonnés mobile et 6 millions de clients fixes de SFR. Cette répartition leur éviterait de reprendre l'intégralité des infrastructures tout en gagnant massivement des parts de marché. Free, cinquième opérateur européen, consoliderait ainsi sa position face à Orange. Bouygues Telecom rattraperait son retard historique sur ses concurrents.
L'opération présente toutefois des défis techniques majeurs. Migrer des millions d'abonnés sans perturbation nécessite une synchronisation parfaite des systèmes d'information et une compatibilité totale des infrastructures réseau. Un défi à la hauteur de l'enjeu.
Orange vise l'excellence sélective
Le leader français adopte une approche différente. Christel Heydemann, sa directrice générale, a confirmé qu'Orange ne serait pas "à la manœuvre" pour un rachat global. Sa position dominante rendrait l'opération délicate sur le plan concurrentiel.
Orange privilégie le portefeuille clients entreprises de SFR et certaines fréquences 4G/5G. Cette stratégie ciblée maximise la rentabilité : le segment entreprise génère des marges supérieures au grand public, tandis que les fréquences supplémentaires optimiseraient la qualité de service d'Orange dans les zones denses.
Les infrastructures, actifs séparés
Patrick Drahi prévoit de monétiser séparément le réseau fibre de SFR. Cette approche reflète une tendance de fond : la séparation entre services et infrastructures dans les télécommunications devient la norme.
SFR et Bouygues Telecom ont déjà lancé la vente d'Infracos, leur coentreprise gérant 3 500 sites mobiles mutualisés en zones rurales. Cette cession, estimée entre 800 millions et 1 milliard d'euros, préfigure la logique de démembrement des actifs physiques.
Conséquences sur l'écosystème concurrentiel
Cette consolidation majeure transformerait le marché français des télécoms de quatre à trois opérateurs nationaux. Un changement structurel qui nécessitera l'approbation de l'Autorité de la concurrence, voire de la Commission européenne.
L'Arcep a indiqué ne pas avoir "de position de principe" sur cette consolidation, laissant présager une analyse pragmatique. Les régulateurs scruteront particulièrement l'impact sur les tarifs de détail, dans un contexte où la France affiche déjà les prix mobiles les plus bas d'Europe.
La présence d'acteurs étrangers comme Emirates Telecommunications Group complique l'équation réglementaire. Une participation étrangère significative soulèverait des questions de souveraineté numérique, particulièrement sensibles dans le contexte géopolitique actuel.
Pour les 25 millions de clients SFR, cette période d'incertitude nécessite vigilance. Les contrats existants seront probablement honorés par les repreneurs, mais les conditions tarifaires pourraient évoluer selon les nouvelles stratégies commerciales.
Chronologie d'une recomposition
Patrick Drahi vise un accord de principe d'ici fin 2025, mais plusieurs obstacles subsistent. La rivalité historique entre Martin Bouygues et Xavier Niel pourrait compliquer les négociations. Les valorisations respectives des différents segments d'activité devront faire l'objet d'expertises approfondies.
La procédure de sauvegarde accélérée, qui débutera en juin devant le tribunal de commerce de Paris, facilite techniquement ces négociations. Contrairement à une liquidation judiciaire, elle permet d'imposer l'accord aux créanciers récalcitrants tout en évitant la cessation d'activité. L'homologation définitive est attendue entre fin septembre et début octobre 2025.
Une fois cet accord de restructuration homologué, les discussions de cession pourront s'accélérer significativement.
Le démembrement de SFR marque la fin d'une époque dans les télécoms françaises. Cette restructuration forcée par l'endettement pourrait paradoxalement revitaliser un marché où la concurrence par les prix avait atteint ses limites. L'issue de cette opération, attendue pour fin 2025, déterminera l'équilibre concurrentiel français pour la décennie à venir.
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