SAGA : L'Europe lance son bouclier quantique spatial
L'Europe confie à Thales et l'ESA la mission SAGA, son premier satellite quantique. Découvrez comment il protégera nos données de la menace informatique future.

Nos échanges bancaires, nos secrets militaires et nos infrastructures critiques reposent aujourd'hui sur un cadenas numérique que l'on pensait inviolable. Mais l'arrivée annoncée des ordinateurs quantiques menace de faire voler en éclats ce fondement de notre sécurité. En réponse, l'Europe vient de poser la première pierre de sa forteresse orbitale : un contrat de 50 millions d'euros confié à Thales Alenia Space par l'ESA pour concevoir le satellite SAGA, fer de lance d'une communication inviolable.
La promesse d'un ordinateur qui brisera tous les codes
Pour comprendre l'urgence, il faut saisir la menace. La majorité de la sécurité sur Internet repose sur des algorithmes comme le RSA, dont la robustesse vient d'un problème mathématique : il est extrêmement difficile pour un ordinateur classique de décomposer un très grand nombre en ses deux facteurs premiers. C'est sur cette difficulté que repose la sécurité de votre connexion bancaire. Or, un ordinateur quantique suffisamment puissant, grâce à des algorithmes comme celui de Shor, sera capable d'effectuer ce calcul en un temps record, rendant obsolètes la plupart des protocoles de chiffrement que nous utilisons quotidiennement. Comme l'explique une analyse du National Institute of Standards and Technology (NIST) américain, cette rupture technologique exige de développer et de standardiser de nouvelles approches cryptographiques.
La menace n'est pas théorique. Il s'agit de savoir quand, et non si, les ordinateurs quantiques seront capables de casser le chiffrement à clé publique.
Transmettre des clés inviolables grâce aux lois de la physique
C'est ici qu'intervient la Distribution Quantique de Clés (QKD). L'idée n'est pas de chiffrer le message lui-même avec la technologie quantique, mais de créer et de distribuer une clé de chiffrement secrète de manière parfaitement sécurisée. Le système SAGA utilisera des photons, des particules de lumière, pour transmettre cette clé entre le satellite et des stations au sol. Chaque photon est encodé dans un état quantique (par exemple, sa polarisation). Selon un principe fondamental de la mécanique quantique, le simple fait de mesurer ou d'observer un état quantique le perturbe de manière irréversible.
Par conséquent, si un espion tente d'intercepter les photons pour lire la clé, il laissera une trace inévitable. Les destinataires légitimes détecteront cette anomalie, jetteront la clé compromise et recommenceront la transmission jusqu'à obtenir une clé dont la confidentialité est garantie par les lois de la physique elles-mêmes. Utiliser un satellite permet de s'affranchir des limites de la fibre optique et de créer des liaisons sécurisées sur de très longues distances, entre les continents.
Dans la course à l'espace quantique, l'Europe accélère
Le projet SAGA n'émerge pas dans le vide. Il est la réponse stratégique de l'Europe à des concurrents déjà bien avancés. La Chine a pris une longueur d'avance spectaculaire en lançant dès 2016 le satellite Micius, le premier à démontrer la faisabilité de la QKD à l'échelle intercontinentale. De leur côté, les États-Unis investissent massivement, notamment via le Department of Energy qui a dévoilé les plans d'un réseau internet quantique national.
Le contrat de Thales Alenia Space n'est que la première étape de la feuille de route européenne. La mission SAGA est en effet l'une des composantes de l'ambitieuse Infrastructure de Communication Quantique Européenne (EuroQCI), une initiative de la Commission européenne visant à déployer un réseau de communication quantique sécurisé sur tout le territoire de l'UE, combinant des liaisons terrestres et spatiales.
Les défis d'une précision balistique à 28 000 km/h
Si le principe est élégant, sa mise en œuvre est un défi d'ingénierie colossal. Le satellite devra être capable de pointer un faisceau de photons avec une précision extrême depuis son orbite, filant à près de 8 km/s, vers une station de réception au sol de quelques dizaines de centimètres de large. Le moindre obstacle, comme la couverture nuageuse ou les turbulences atmosphériques, peut perturber ou bloquer ce fragile signal quantique. Les 50 millions d'euros alloués à cette première phase serviront précisément à concevoir l'architecture capable de surmonter ces obstacles pour bâtir les fondations de la future souveraineté numérique et stratégique de l'Europe.
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