RISC-V : Le pari européen de la souveraineté numérique

Face à la domination US, l'Europe investit massivement dans RISC-V pour reprendre le contrôle de son avenir technologique.

RISC-V : Le pari européen de la souveraineté numérique

Face aux tensions géopolitiques et à la domination des géants américains, l'Europe mise désormais sur RISC-V pour reprendre le contrôle de son avenir technologique. Avec un investissement de 240 millions d'euros dans le projet DARE, l'Union Européenne fait un choix stratégique qui pourrait redessiner l'échiquier mondial des semi-conducteurs.

Des origines académiques à l'enjeu géopolitique

Née dans les laboratoires de l'Université de Berkeley en 2010, l'architecture RISC-V a parcouru un chemin remarquable. Conçue initialement comme alternative aux architectures propriétaires dominantes, elle repose sur le principe RISC (Reduced Instruction Set Computing) qui privilégie un jeu d'instructions simplifié pour des performances optimisées.

Sa particularité ? RISC-V n'est pas à proprement parler "open source" mais constitue un "standard ouvert". Cette nuance essentielle signifie que les spécifications de l'architecture sont librement accessibles, permettant à quiconque de développer des processeurs basés sur ces spécifications. L'organisation RISC-V International, fondée en Suisse en 2019, gère désormais ce standard et garantit sa pérennité.

Comment fonctionne RISC-V et quels sont ses avantages ?

L'architecture RISC-V se distingue par sa conception modulaire. Le jeu d'instructions de base, minimaliste, peut être complété par diverses extensions selon les besoins spécifiques. Disponible en versions 32, 64 et 128 bits, elle s'adapte à tous types d'appareils, des microcontrôleurs ultra-basse consommation aux supercalculateurs.

Cette flexibilité représente un atout majeur pour les concepteurs de puces. Sans coûts de licence à payer, contrairement aux architectures ARM ou x86, ils peuvent développer rapidement des solutions optimisées pour des applications spécifiques. Ainsi, une entreprise peut créer un processeur parfaitement adapté à ses besoins sans contraintes de propriété intellectuelle.

En pratique, cela se traduit par :

  • Une réduction significative des coûts de développement
  • Une accélération de l'innovation par le partage des connaissances
  • L'émergence d'un écosystème diversifié, des projets universitaires aux implémentations industrielles
  • Une indépendance technologique vis-à-vis des architectures propriétaires

L'Europe en ordre de bataille

Le projet européen DARE (Digital Autonomy with RISC-V in Europe) illustre parfaitement l'ambition continentale. Cette initiative, lancée récemment avec un financement initial de 240 millions d'euros, vise à développer un écosystème complet de processeurs et d'accélérateurs RISC-V pour les futurs supercalculateurs européens.

En mars 2025, l'entreprise européenne Codasip a été sélectionnée pour concevoir un processeur à usage général hautes performances dans ce cadre. Ce processeur sera configurable et personnalisable pour diverses applications de calcul haute performance, reflétant parfaitement la flexibilité intrinsèque de RISC-V.

Le projet mobilise 38 acteurs technologiques européens, coordonnés par le Barcelona Supercomputing Center, pour développer trois composants complémentaires :

  • Un accélérateur vectoriel-mathématique
  • Un chiplet d'inférence pour l'intelligence artificielle
  • Le processeur polyvalent de Codasip

L'objectif ? Offrir une alternative européenne, souveraine et économe en énergie aux solutions américaines et asiatiques dominantes.

D'autres initiatives sont en cours, comme SiPearl, startup qui intègre des coprocesseurs RISC-V dans sa puce Rhea destinée aux supercalculateurs. Après une levée de 90 millions d'euros en 2023, cette entreprise incarne également l'ambition européenne de maîtriser sa chaîne technologique.

Des applications concrètes déjà visibles

Scaleway, filiale cloud d'Iliad, a lancé en 2024 les premiers serveurs cloud basés sur RISC-V, une première mondiale qui démontre la maturité croissante de l'écosystème. Ces serveurs offrent désormais aux développeurs un environnement pour tester et déployer des applications sur cette architecture.

Dans le domaine de l'Internet des Objets, les microcontrôleurs basés sur RISC-V commencent à remplacer progressivement les solutions ARM traditionnelles, offrant une plus grande liberté de conception et des performances adaptées aux contraintes énergétiques de ces appareils.

Les secteurs stratégiques comme la défense et l'aérospatiale s'intéressent également à RISC-V. La possibilité d'auditer complètement l'architecture et de la personnaliser pour des besoins de sécurité spécifiques représente un avantage décisif pour ces applications critiques.

Une course mondiale où l'Europe veut sa place

L'Europe n'est pas seule à miser sur RISC-V. La Chine, confrontée aux restrictions américaines sur les technologies avancées, investit massivement dans cette architecture. Le projet chinois annonce le lancement en 2025 d'une conception de puce avancée sous licence libre, positionnant le pays en concurrent direct d'ARM et Intel.

L'Inde et la Russie ont également lancé des initiatives nationales basées sur RISC-V, confirmant la dimension géopolitique de cette architecture ouverte. Ce mouvement mondial traduit une volonté partagée de s'affranchir des dépendances technologiques.

Face à cette concurrence, l'Europe doit accélérer. Le sommet européen sur le RISC-V, prévu du 12 au 15 mai à Paris, témoigne de cette dynamique continentale. Cet événement réunira chercheurs, industriels et décideurs publics pour coordonner les efforts et renforcer l'écosystème européen.

Un avenir ouvert mais exigeant

RISC-V incarne aujourd'hui l'espoir d'une véritable autonomie technologique européenne dans le domaine crucial des processeurs. Cette architecture ouverte offre un cadre propice à l'innovation et à la coopération internationale, tout en garantissant une maîtrise des technologies essentielles au développement numérique du continent.

La réussite de ces initiatives déterminera si l'Europe peut effectivement construire sa propre voie dans l'écosystème mondial des semi-conducteurs, avec des implications majeures pour ses capacités en intelligence artificielle, calcul haute performance et systèmes embarqués critiques.

Pour en savoir plus, consultez le site officiel de RISC-V International ou celui du projet DARE.