Procès Apple-Musk : quand la bataille judiciaire tourne au bras de fer

Musk accuse Apple et OpenAI de collusion anticoncurrentielle sur l'IA. Les deux géants demandent le classement d'un procès jugé "spéculatif".

Procès Apple-Musk : quand la bataille judiciaire tourne au bras de fer

Elon Musk attaque Apple et OpenAI en justice depuis fin août 2025, accusant les deux entreprises de collusion anticoncurrentielle dans le domaine de l'intelligence artificielle. Apple et OpenAI viennent de réclamer le classement de l'affaire, qualifiant les griefs de "spéculations sans fondement". Cette confrontation judiciaire révèle les tensions profondes autour du contrôle de l'IA mobile.

L'acte d'accusation d'un rival évincé

Le 25 août 2025, xAI et X Corp, les deux entités contrôlées par Elon Musk, ont déposé une plainte de 61 pages devant la cour fédérale du Texas. L'accusation centrale : Apple et OpenAI auraient orchestré un "schéma anticoncurrentiel" pour étouffer la concurrence dans l'IA générative. Musk reproche à Apple d'avoir intégré exclusivement ChatGPT dans iOS 18.2, iPadOS 18.2 et macOS Sequoia, offrant ainsi à OpenAI un accès privilégié à des centaines de millions d'utilisateurs. Le fondateur de Tesla dénonce également le classement de l'App Store, affirmant que Grok, son propre assistant conversationnel, n'apparaît jamais dans les guides "Must-Have Apps" d'Apple, contrairement à ChatGPT qui bénéficierait d'une promotion systématique.

Cette offensive judiciaire fait suite à des menaces publiques formulées par Musk mi-août sur X, où il affirmait qu'Apple "se comporte de manière à rendre impossible pour toute entreprise d'IA autre qu'OpenAI d'atteindre la première place dans l'App Store". La plainte établit un parallèle avec l'accord de recherche par défaut entre Apple et Google, au cœur d'une autre affaire antitrust perdue par Google en 2024. Pour Musk, le partenariat Apple-OpenAI reproduirait le même mécanisme d'exclusion.

L'architecture technique du partenariat contesté

L'alliance entre Apple et OpenAI, annoncée en juin 2024 lors de la conférence WWDC, repose sur une intégration de ChatGPT dans Apple Intelligence. Concrètement, lorsque Siri ne peut répondre à une requête complexe, l'assistant peut solliciter ChatGPT avec l'autorisation explicite de l'utilisateur. Cette fonctionnalité s'étend aux outils d'écriture système de tout le système d'exploitation, permettant de générer ou reformuler du texte, et même d'analyser des images ou des documents.

Apple insiste sur les protections de confidentialité mises en place : les adresses IP sont masquées, les requêtes ne sont pas stockées par OpenAI et ne servent pas à entraîner les modèles de l'entreprise. Ces garanties contractuelles constituent l'argument central de la défense d'Apple. Le groupe de Cupertino précise également que cette intégration reste optionnelle et nécessite un consentement pour chaque envoi de données vers ChatGPT.

L'accord entre les deux entreprises ne prévoit pas d'échanges financiers directs. Apple considère la distribution massive via ses appareils comme une compensation suffisante pour OpenAI, tandis qu'OpenAI gagne une visibilité sans précédent auprès d'utilisateurs qui n'auraient peut-être jamais téléchargé l'application ChatGPT.

Des arguments de défense sous le feu des critiques

Dans leur requête en classement déposée début octobre 2025, Apple et OpenAI qualifient les accusations de Musk de "chaîne spéculative de plusieurs étapes, construite sur des spéculations". Apple défend son droit de choisir librement ses partenaires technologiques et souligne qu'il est "de notoriété publique" que la firme prévoit de s'associer à d'autres chatbots IA. Effectivement, des discussions sont en cours avec Google pour intégrer Gemini dans iOS 19, et le code backend d'iOS 18.4 beta révèle déjà des références à Google aux côtés d'OpenAI. Le PDG de Google, Sundar Pichai, a même déclaré lors d'un témoignage sous serment fin avril 2025 espérer conclure un accord avec Apple d'ici mi-2025.

Apple réfute également l'idée qu'elle serait tenue par le droit antitrust de s'associer à "tous les autres chatbots génératifs, indépendamment de la qualité, des considérations de confidentialité ou de sécurité, de la faisabilité technique, du stade de développement ou des conditions commerciales". La société rappelle que d'autres applications d'IA, comme DeepSeek, ont atteint la première place de l'App Store après l'annonce du partenariat avec OpenAI en janvier 2025, contredisant les allégations de manipulation des classements.

OpenAI, de son côté, dénonce un "schéma de harcèlement" de la part de Musk. La société fait référence à d'autres procédures judiciaires lancées par l'entrepreneur, notamment une plainte accusant OpenAI d'avoir trahi sa mission initiale à but non lucratif. Musk, cofondateur d'OpenAI en 2015, a quitté l'organisation en 2018 après des désaccords stratégiques avec Sam Altman. Les relations entre les deux hommes se sont depuis considérablement dégradées, donnant une dimension personnelle à ce conflit juridique.

Un combat qui dépasse deux entreprises

Au-delà des arguments juridiques, cette affaire soulève des questions structurelles sur le contrôle de l'IA conversationnelle. Pour Apple, le partenariat avec OpenAI comble un retard technique patent dans le domaine de l'IA générative. Le groupe n'a jamais développé en interne de grand modèle de langage comparable à GPT-4o, Gemini ou Claude. Cette dépendance à un tiers fragilise cependant son positionnement historique de gardien de l'écosystème fermé et sécurisé.

Pour OpenAI, l'intégration dans iOS représente un coup stratégique majeur. Bien que l'accord ne génère pas de revenus directs immédiats, il ancre ChatGPT comme l'assistant IA par défaut pour des centaines de millions d'utilisateurs. Cette position dominante devient d'autant plus précieuse dans un marché encore en formation, où les effets de réseau et l'habitude d'usage déterminent les gagnants de demain.

Pour Musk et xAI, cette bataille judiciaire s'inscrit dans une stratégie plus large de contestation du leadership d'OpenAI. Grok, lancé fin 2023, peine à s'imposer face à ChatGPT malgré une intégration native dans X. L'argument antitrust permet à Musk de transformer une défaite commerciale en combat pour "l'équité du marché", tout en attirant l'attention des régulateurs sur les accords exclusifs entre géants de la tech. L'ironie ne manque pas : Musk lui-même a été accusé de manipuler les algorithmes de X pour favoriser ses propres contenus et entreprises, comme l'a rappelé Sam Altman en réponse aux premières menaces de procès.

Un verdict aux implications majeures

Apple et OpenAI maintiennent que leur partenariat ne viole aucune loi antitrust et que les accusations de Musk reposent sur des hypothèses non démontrées. Mais l'absence d'audit indépendant validant les promesses de confidentialité et l'exclusivité initiale de l'accord fragilisent leur défense face à un tribunal. L'issue de ce procès pourrait redéfinir les règles du jeu pour tous les acteurs de l'IA mobile.