Orange se déleste de Globecast, sa discrète filiale vidéo

Orange vend Globecast, sa filiale de diffusion vidéo B2B déficitaire. Décryptage d'une cession stratégique après le scandale JO 2024.

Orange se déleste de Globecast, sa discrète filiale vidéo

Dans le sillage des cessions d'Orange Bank et d'OCS, l'opérateur historique poursuit son grand désengagement des activités jugées non stratégiques. Cette fois, c'est Globecast, spécialiste B2B de la diffusion de contenu audiovisuel, qui est sur le point de quitter le giron du groupe français.

Un actif qui pèse lourd, mais qui ne rapporte plus

Globecast France a enregistré un chiffre d'affaires de 96,6 millions d'euros en 2023, en recul de 12,6 % par rapport à l'année précédente, pour une perte nette de 6,67 millions d'euros. Ces résultats, bien loin des 216,8 millions d'euros évoqués sur d'autres sources, témoignent d'une activité en difficulté sur un marché de la diffusion vidéo B2B en pleine mutation.

La rentabilité de l'entreprise s'établit à -6,9 % en 2023, avec un endettement de 76,19 millions d'euros

La structure holding du groupe, Globecast Holding, présente des chiffres légèrement différents. En 2022, elle affichait un résultat net de 9 millions d'euros, en croissance de 234 %, mais ces performances consolidées masquent les difficultés opérationnelles de la filiale française. L'entité emploie environ 216 salariés et déploie ses activités dans sept pays, de la France aux États-Unis en passant par l'Italie et le Royaume-Uni.

"Lead the Future" : quand Orange fait le ménage dans son portefeuille

Cette mise en vente s'inscrit dans le plan stratégique "Lead the Future" présenté en février 2023 par Christel Heydemann, directrice générale d'Orange. Ce plan prévoit une gestion rigoureuse du portefeuille d'actifs, un recentrage sur les métiers rentables et une optimisation des coûts de 600 millions d'euros.

Les priorités affichées sont claires : infrastructures réseau, cybersécurité (avec un objectif de 1,3 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2025) et expansion en Afrique-Moyen-Orient. Christel Heydemann a évoqué une "revue d'actifs sur la diversification", annonçant la fin des activités jugées périphériques.

La vente de Globecast fait donc suite à plusieurs cessions majeures. Orange a cédé OCS et Orange Studio à Canal+, ainsi que le portefeuille de crédits d'Orange Bank, qui avait accumulé près de 880 millions d'euros de pertes depuis 2017 à Hello Bank (BNP Paribas). Plus récemment, des rumeurs évoquent la cession de participations dans certains data centers français, dans une logique d'ouverture à la colocation.

Un scandale d'espionnage qui a terni l'image

L'année 2024 n'a pas été de tout repos pour Globecast. En février, à quelques mois des Jeux olympiques de Paris, douze clés USB fonctionnant comme des micros espions ont été découvertes dissimulées derrière des écrans de visioconférence dans quatre salles de réunion, dont la salle stratégique "Bora-Bora".

Un administrateur informatique de l'entreprise a été identifié comme responsable de l'installation de ces dispositifs achetés 119 euros sur Amazon, qui s'activaient automatiquement lors des prises de parole. Les enregistrements portaient notamment sur des discussions sensibles concernant les failles de cybersécurité à anticiper avant les JO.

L'affaire a été immédiatement transmise à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), mettant en lumière les risques d'espionnage interne dans un secteur stratégique.

Cette affaire a entaché la réputation d'un acteur pourtant reconnu : Globecast assurait le monopole de la retransmission des épreuves olympiques de Paris 2024. Un contrat prestigieux gâché par une faille de sécurité interne qui a fait les gros titres.

Un marché en pleine transformation technologique

Globecast évolue sur un marché de la diffusion vidéo professionnel en profonde mutation. Le marché mondial des technologies de diffusion et des médias pesait 121 milliards de dollars en 2023 et devrait atteindre 150 milliards d'ici 2032, avec un taux de croissance annuel de 2,41 %. Une croissance modeste qui reflète la transition difficile du broadcast traditionnel vers les plateformes numériques.

Les concurrents directs de Globecast incluent TDF via sa filiale Arkena (anciennement SmartJog) en France, ainsi que les branches B2B de nombreux opérateurs télécoms internationaux. Tous font face aux mêmes défis : concurrencer les pure players OTT comme Netflix ou Disney+, gérer simultanément des infrastructures traditionnelles et cloud, et maintenir une qualité de service élevée dans un contexte de pression sur les coûts.

Globecast propose des services complets : transmission par satellite et fibre optique, playout de chaînes, gestion de médias, contribution d'événements en direct et distribution OTT. La société dispose d'une infrastructure mondiale avec 19 points de présence dont 12 téléports, reliés par plus de 75 000 kilomètres de fibre optique.

Mais ce modèle capitalistique lourd, hérité de l'ère du broadcast traditionnel, peine à générer de la rentabilité face à l'agilité des solutions cloud. La migration vers des architectures hybrides et l'externalisation de la chaîne d'approvisionnement média deviennent la norme pour réduire les coûts fixes.

Des acquéreurs potentiels dans les starting-blocks

Selon les informations disponibles, Orange a confié un mandat de vente à la banque d'affaires Barber Hauler. Des éléments du dossier ont été envoyés à plusieurs acteurs susceptibles de se positionner, notamment des fonds d'investissement spécialisés dans les entreprises sous-performantes. Toutefois, la porte ne serait pas fermée aux repreneurs industriels.

Le premier tour d'enchères, initialement prévu pour déboucher sur des offres indicatives non engageantes, a récemment débuté. Plusieurs questions demeurent : quelle valorisation Orange espère-t-elle obtenir pour un actif déficitaire ? Quel repreneur sera prêt à investir dans la modernisation de l'infrastructure de Globecast ?

Les discussions restent confidentielles, mais le profil de l'acquéreur sera déterminant. Un fonds spécialisé dans le retournement pourrait tenter une restructuration en profondeur, tandis qu'un acteur industriel du secteur broadcast chercherait plutôt des synergies.

Orange a affiché des résultats 2024 solides avec un chiffre d'affaires de 40,26 milliards d'euros en hausse de 1,2 %, et vise un cash-flow organique d'au moins 3,6 milliards d'euros pour 2025. La cession de Globecast permettrait au groupe de se délester d'un actif non stratégique et chroniquement déficitaire, pour se concentrer sur ses priorités : fibre, 5G et cybersécurité.

Pour Globecast, l'enjeu sera de trouver un acquéreur capable de financer sa transformation technologique. Dans un marché où le streaming vidéo mondial représentera 4 490 milliards de dollars d'ici 2037 avec une croissance annuelle de 17,9 %, les opportunités existent. À condition de repenser entièrement le modèle économique.