OpenDNS quitte la Belgique : quand le DNS devient un outil de censure

OpenDNS se retire de Belgique face à une injonction judiciaire. Une décision qui révèle la transformation du DNS en outil de contrôle d'internet.

OpenDNS quitte la Belgique : quand le DNS devient un outil de censure

Le 11 avril dernier, les utilisateurs belges d'OpenDNS ont eu la surprise de voir leur connexion internet soudainement perturbée. Sans préavis, Cisco a suspendu son service de DNS alternatif dans tout le pays. Cette décision radicale fait suite à une ordonnance du tribunal de commerce francophone de Bruxelles, imposant le blocage de sites de streaming illégaux.

Une bataille juridique aux conséquences radicales

OpenDNS n'est pas un nouveau venu dans l'écosystème internet. Lancé comme alternative aux serveurs DNS des fournisseurs d'accès, ce service a été racheté par Cisco en 2015 pour la modique somme de 635 millions de dollars. Sa proposition de valeur : offrir une navigation plus rapide, plus sécurisée, avec des fonctionnalités de filtrage personnalisables.

La justice belge, saisie par la plateforme de streaming sportif DAZN, a exigé de plusieurs acteurs du DNS – dont Google, Cloudflare et Cisco (OpenDNS) – qu'ils bloquent l'accès à plus de 130 domaines liés à des sites de streaming illégal. Face à cette injonction, Cisco a préféré couper entièrement son service plutôt que d'appliquer un filtrage sélectif, comme l'entreprise l'avait déjà fait en France et au Portugal en juin 2024.

Le DNS, cette pièce fondamentale d'internet devenue levier de contrôle

Pour saisir l'enjeu de cette affaire, il faut comprendre le rôle essentiel du DNS (Domain Name System) dans l'architecture d'internet. Ce système fonctionne comme un immense annuaire, convertissant les adresses web lisibles (www.exemple.com) en adresses IP numériques que les ordinateurs peuvent traiter.

Lorsque vous saisissez une URL dans votre navigateur, une requête est envoyée à un serveur DNS qui retourne l'adresse IP correspondante. Par défaut, cette fonction est assurée par le serveur de votre fournisseur d'accès, mais des alternatives comme OpenDNS permettent d'améliorer les performances ou de contourner certaines restrictions.

C'est précisément cette position d'intermédiaire qui place les fournisseurs DNS dans le collimateur des autorités. En Belgique comme ailleurs en Europe, la justice privilégie désormais cette approche pour bloquer l'accès aux contenus jugés illicites, plutôt que de s'attaquer directement aux hébergeurs – souvent établis dans des juridictions peu coopératives.

Les utilisateurs belges face à une suspension brutale

Pour la majorité des internautes belges utilisant les DNS par défaut de leur fournisseur d'accès, cette suspension est passée inaperçue. Mais pour ceux qui avaient configuré manuellement OpenDNS sur leurs appareils, la navigation internet s'est brutalement interrompue le 11 avril.

L'impact dépasse le simple désagrément pour les particuliers. Certains objets connectés, comme les ampoules Philips Hue, reposent sur OpenDNS avec une adresse IP codée en dur pour certaines fonctionnalités, provoquant des dysfonctionnements inattendus.

Dans un communiqué sobre, Cisco a justifié sa position : "Cisco s'engage à respecter les droits de propriété intellectuelle et estime que les exigences légales doivent être adressées aux fournisseurs de contenu ou aux services d'hébergement qui tirent parti de ce contenu et/ou le contrôlent, et non aux technologies neutres telles que la résolution DNS."

Des alternatives pour les utilisateurs concernés

Heureusement, plusieurs options restent accessibles pour les utilisateurs belges souhaitant utiliser un DNS alternatif :

  • Cloudflare (1.1.1.1) : réputé pour sa rapidité et son respect de la vie privée
  • NextDNS : offrant des fonctions de filtrage personnalisables similaires à OpenDNS
  • Quad9 (9.9.9.9) : axé sur la sécurité et le blocage des domaines malveillants

La configuration de ces alternatives peut se faire au niveau du navigateur, du système d'exploitation ou du routeur, selon les besoins de l'utilisateur.

Un précédent inquiétant pour la neutralité du net

Cette affaire s'inscrit dans une tendance plus large où les infrastructures techniques d'internet sont de plus en plus sollicitées pour appliquer des décisions juridiques nationales. Si la lutte contre le piratage constitue un objectif légitime, la méthode employée soulève des questions fondamentales sur la neutralité du net et la responsabilité des intermédiaires techniques.

Le choix radical de Cisco – suspendre entièrement son service plutôt que d'appliquer un filtrage sélectif – illustre les tensions croissantes entre les exigences légales locales et la vision d'un internet global et neutre. Comme le soulignent plusieurs spécialistes, le DNS est progressivement devenu un levier de contrôle, y compris dans les démocraties occidentales.

La disparition d'OpenDNS en Belgique marque un nouvel épisode dans cette bataille juridico-technique, posant la question cruciale de l'équilibre entre protection du droit d'auteur et préservation d'un internet ouvert. Pour l'instant, les utilisateurs belges devront s'adapter, dans un paysage numérique où la liberté d'accès se heurte de plus en plus aux régulations nationales.

Pour plus d'informations sur les alternatives à OpenDNS, consultez le site officiel de Cisco Community où l'annonce de suspension a été publiée.