Nucléaire et numérique : l'atout stratégique français
La France pourra-t-elle transformer son parc nucléaire en avantage décisif dans la course mondiale aux datacenters et à l'IA énergivores?

érique absorbe déjà 10% de la consommation électrique française. Une goutte d'eau face au tsunami qui s'annonce. Selon Deloitte, la consommation de l'intelligence artificielle pourrait atteindre 3550 térawattheures (TWh) en 2050, soit neuf fois plus qu'en 2023. Cette quantité dépasserait de 37% la consommation totale actuelle de la France.
Plus immédiatement, l'Agence internationale de l'énergie prévoit un doublement des besoins électriques des centres de données d'ici 2030, pour atteindre 945 TWh. Leur appétit augmenterait quatre fois plus vite que tous les autres secteurs réunis.
La France n'échappe pas à cette frénésie. Les 264 datacenters hexagonaux engloutissent actuellement 8,5 TWh annuels, soit 2% de l'électricité nationale. Et la demande s'intensifie : fin 2024, le gestionnaire du réseau RTE enregistrait 4,5 gigawatts de demandes de raccordement supplémentaires. À titre d'exemple, un seul datacenter prévu à Cambrai consommerait l'équivalent d'une ville comme Lille.
Le renouveau de l'atome français
Après avoir frôlé l'effondrement entre 2021 et 2023, période où près de la moitié des réacteurs étaient à l'arrêt pour problèmes de corrosion, le parc nucléaire français retrouve sa stabilité depuis ces deux dernières années.
Mais l'ambition va bien au-delà. En février 2022, Emmanuel Macron annonçait à Belfort un programme de relance massif : six nouveaux réacteurs EPR2, version améliorée de l'EPR, sur les sites de Penly, Gravelines et Bugey. Coût estimé : 46 milliards d'euros. Huit réacteurs supplémentaires pourraient suivre, portant à 14 le nombre total de nouveaux EPR2 envisagés.
Ces réacteurs de nouvelle génération tirent les leçons de Flamanville. Entièrement conçus en numérique, ils permettront des économies d'échelle grâce à des préfabrications en usine et une détection plus facile des anomalies.
En parallèle, la France investit dans les petits réacteurs modulaires (SMR). D'une puissance inférieure à 300 MW, ces centrales miniatures offriraient une production adaptée à des besoins industriels spécifiques, comme ceux de grands datacenters.
Une convergence stratégique
Cette renaissance nucléaire s'articule parfaitement avec l'explosion des besoins numériques. La nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE 2025-2035) acte définitivement la relance de l'atome français, rompant avec les orientations précédentes. Comme le résume Nicolas Goldberg, expert chez Colombus Consulting : "le contexte a changé, il y a un mot d'ordre, c'est électrifions".
La France vise à réduire la part des énergies fossiles dans sa consommation finale de 60% en 2023 à 30% en 2035. Pour compenser, la proportion d'électricité bas carbone augmentera de 27% à 39%.
Cette orientation répond précisément aux besoins du secteur numérique, confronté lui-même à des exigences d'efficacité croissantes. Le décret tertiaire impose aux datacenters de réduire leur consommation énergétique de 40% d'ici 2030, 50% d'ici 2040 et 60% d'ici 2050.
La contrainte est réelle. Sam Altman, PDG d'OpenAI, reconnaissait en janvier 2025 qu'une "percée énergétique est nécessaire pour la future intelligence artificielle, qui consommera beaucoup plus d'énergie que prévu".
Un atout concurrentiel décisif
La France dispose d'un mix électrique déjà largement décarboné, avec une production stable et prévisible. Dans un contexte où la pression environnementale s'accentue sur les acteurs du numérique, cet avantage devient considérable.
L'Irlande, où les datacenters absorbent 20% de l'électricité nationale, ou la Virginie aux États-Unis (25%), montrent les limites d'une dépendance excessive aux énergies fossiles. La capacité à fournir une électricité abondante, stable et bas-carbone devient un critère différenciant majeur.
Pour transformer cette convergence en avantage concurrentiel, quatre orientations semblent indispensables :
- Accélérer le développement des infrastructures électriques, en équilibrant nucléaire et renouvelables.
- Inciter les datacenters à s'implanter près des sources de production, limitant les pertes de transport.
- Soutenir l'innovation en matière d'efficacité énergétique numérique.
- Créer des zones économiques spéciales combinant production décarbonée et infrastructures numériques.
Des initiatives concrètes émergent déjà. Dans le Nord, un projet associe un datacenter à un petit réacteur modulaire, créant une symbiose énergétique parfaite : l'électricité alimente les serveurs tandis que leur chaleur résiduelle chauffe les bâtiments environnants. De quoi faire d'une pierre deux watts.
À l'heure des choix stratégiques
L'explosion des besoins énergétiques du numérique représente un défi colossal mais aussi une opportunité unique pour la France. En articulant intelligemment sa politique nucléaire avec une stratégie d'accueil des infrastructures numériques, l'Hexagone pourrait s'imposer comme le hub incontournable de la révolution numérique européenne, conjuguant souveraineté technologique et ambition climatique.
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