NIS2 et DORA : quand la cybersécurité devient une responsabilité personnelle
Les dirigeants désormais en première ligne face aux cyberattaques : NIS2 et DORA changent la donne avec des sanctions personnelles à la clé.

La cybersécurité n'est plus l'apanage exclusif des équipes techniques. Avec l'entrée en vigueur des nouvelles directives européennes NIS2 et DORA, le paradigme de la responsabilité en matière de protection numérique connaît une transformation radicale. Désormais, les dirigeants d'entreprise se retrouvent en première ligne, personnellement responsables de la résilience digitale de leur organisation. Cette évolution réglementaire majeure, encore méconnue par de nombreux décideurs, bouleverse l'approche traditionnelle où le RSSI (Responsable de la Sécurité des Systèmes d'Information) portait seul la charge de protéger les systèmes d'information.
L'émergence d'une nouvelle gouvernance de la cybersécurité
La première directive NIS, adoptée en 2016, avait déjà établi un cadre européen pour la sécurité des réseaux et systèmes d'information. Face à l'intensification des menaces et à la digitalisation accélérée de l'économie, l'Union européenne a considérablement renforcé son arsenal juridique. La directive NIS2, entrée en vigueur en octobre 2024, et le règlement DORA, applicable depuis janvier 2025, redéfinissent profondément la distribution des responsabilités en matière de cybersécurité.
Ces textes marquent un tournant historique dans la gouvernance de la sécurité numérique. Auparavant considérée comme une problématique technique secondaire, la cybersécurité devient un enjeu stratégique traité au plus haut niveau de l'entreprise. L'objectif est clair : instaurer une culture de la sécurité qui irrigue l'ensemble de l'organisation, depuis la direction générale jusqu'aux équipes opérationnelles.
Des obligations strictes et une responsabilité étendue
NIS2 étend considérablement son champ d'application, passant de 7 à 18 secteurs concernés et touchant désormais plus de 10 000 entreprises en France. Cette directive impose des exigences renforcées en matière de gestion des risques cyber, incluant notamment :
- La mise en place de politiques d'analyse des risques et de sécurité des systèmes d'information
- L'élaboration de plans de continuité d'activité et de gestion de crise
- La sécurisation de la chaîne d'approvisionnement
- L'évaluation régulière de l'efficacité des mesures implémentées
- La formation obligatoire à la cybersécurité
La révolution majeure réside dans l'article 20 de la directive NIS2, qui engage directement la responsabilité des organes de direction. Les dirigeants doivent désormais approuver formellement les stratégies de gestion des risques cyber, superviser leur mise en œuvre et peuvent être tenus personnellement responsables en cas de manquements. Le règlement DORA renforce cette tendance en prévoyant des sanctions individuelles pour les dirigeants du secteur financier en cas de non-respect des exigences.
Une courbe d'apprentissage conséquente pour les décideurs
Les recherches montrent que de nombreuses entreprises peinent encore à s'adapter à ce nouveau cadre réglementaire. Les dirigeants, souvent peu familiers avec les enjeux techniques de la cybersécurité, doivent rapidement monter en compétence. La directive NIS2 prévoit d'ailleurs explicitement l'obligation pour tous les membres des organes de direction de suivre régulièrement des formations appropriées.
Cette exigence de formation représente un défi considérable. Les dirigeants doivent acquérir suffisamment de connaissances pour identifier les risques cyber, évaluer l'efficacité des pratiques mises en place et comprendre leur impact sur les services fournis par l'organisation. Il ne s'agit pas de transformer les dirigeants en experts techniques, mais de leur donner les clés pour exercer pleinement leur responsabilité de supervision.
Des mesures concrètes à mettre en œuvre
Pour les dirigeants souhaitant se conformer à leurs nouvelles obligations, plusieurs actions prioritaires s'imposent :
- Vérifier l'applicabilité des directives à leur organisation via les outils officiels comme le simulateur de l'ANSSI
- Réaliser une évaluation complète des risques cyber, incluant les vulnérabilités liées à la chaîne d'approvisionnement
- Mettre en place des plans de réponse aux incidents robustes et régulièrement testés
- S'assurer que ces plans fonctionnent en conditions réelles et ne sont pas de simples documents théoriques
- Intégrer des clauses contractuelles spécifiques avec les fournisseurs pour garantir la sécurité de bout en bout
Le délai de notification des incidents constitue un autre point crucial de ces nouvelles réglementations : 24 heures seulement pour NIS2, et même 4 heures dans le cadre de DORA pour le secteur financier. Cette contrainte temporelle exige des systèmes de détection performants et des procédures d'alerte parfaitement rodées.
Les sanctions : une épée de Damoclès sur les dirigeants
Le non-respect des obligations peut entraîner des conséquences sévères. Les sanctions prévues peuvent atteindre jusqu'à 10 millions d'euros ou 2% du chiffre d'affaires annuel de l'entreprise selon la criticité du secteur. Plus encore, les dirigeants s'exposent à des interdictions temporaires d'exercer des fonctions de direction et à des poursuites judiciaires en cas de manquements graves.
Cette responsabilisation accrue vise à faire de la cybersécurité une préoccupation centrale du management. Comme le souligne Bart Groothuis, rapporteur NIS2 au Parlement européen : "La cybersécurité ne peut plus être gérée en disant à un informaticien : 'D'accord, fais quelque chose pour assurer notre sécurité.' Le PDG et le conseil d'administration doivent savoir quoi faire".
Si on a longtemps comparé les RSSI à des capitaines de navire naviguant en eaux troubles, les nouveaux textes font désormais des dirigeants les amiraux de la flotte, responsables de la stratégie de défense numérique globale.
Conclusion
L'ère où la cybersécurité était déléguée uniquement aux équipes techniques est définitivement révolue. Les nouvelles directives européennes transforment profondément la gouvernance de la sécurité numérique en entreprise, faisant des dirigeants les garants ultimes de la résilience digitale de leur organisation.
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