Nationalisation d'Alcatel Submarine Networks : une fusion avec Orange Marine envisageable ?

La France vient de poser un pion stratégique sur l'échiquier des infrastructures numériques mondiales. En novembre 2024, l'État français a finalisé l'acquisition d'Alcatel Submarine Networks (ASN) pour environ 100 millions d'euros, valorisant l'entreprise à 350 millions d'euros. Cette nationalisation, initiée par Bruno Le Maire puis finalisée par Antoine Armand, représente bien plus qu'une simple opération financière.
Un acteur majeur aux mains de l'État français
ASN n'est pas une entreprise comme les autres. Ce géant de la conception, fabrication et installation de câbles sous-marins détient environ 35% des parts de marché mondial. Avec plus de 750 000 km de câbles posés à travers les océans, l'entreprise contribue massivement à l'infrastructure qui permet le transit de 99% du trafic internet mondial.
La décision de nationaliser ASN s'explique par plusieurs facteurs clés. D'abord, l'entreprise est considérée comme "essentielle pour la souveraineté" de la France dans un secteur ultra-sensible. Elle représente le seul fabricant européen de câbles sous-marins, face à la concurrence de l'américain SubCom, du japonais NEC et du chinois Hengtong.
Nokia, qui avait hérité d'ASN lors du rachat d'Alcatel-Lucent en 2015, cherchait depuis plusieurs années à s'en séparer. L'État français a saisi cette opportunité pour éviter que cette pépite technologique ne "passe entre de mauvaises mains".
Orange Marine : l'autre atout français des profondeurs
Ce qui rend cette acquisition particulièrement intéressante, c'est la complémentarité naturelle avec Orange Marine, filiale du groupe Orange. Cette dernière est spécialisée dans la pose et la maintenance de câbles sous-marins, et entretient déjà des relations professionnelles étroites avec ASN.
Les deux entreprises opèrent sur des segments complémentaires : ASN se concentre sur la fabrication et la pose de câbles, tandis qu'Orange Marine excelle dans leur déploiement et leur maintenance. ASN dispose également d'une flotte de 6 navires câbliers (3 pour la pose, 3 pour la maintenance), ce qui en fait l'un des principaux concurrents d'Orange Marine.
Des collaborations entre les deux entités existent déjà. Par exemple, lors du déploiement d'un nouveau câble sous-marin en Nouvelle-Calédonie, Orange Marine était responsable du survey grands fonds et de la pose du câble conçu par ASN.
Une fusion aux multiples avantages
Synergies opérationnelles et économies d'échelle
Une fusion permettrait d'optimiser toute la chaîne de valeur, depuis la fabrication des câbles jusqu'à leur pose et leur maintenance. Actuellement, ASN peut "décaler ses livraisons de câbles à Orange Marine pour privilégier ses propres chantiers de pose", créant des difficultés de coordination qui seraient résolues par une fusion.
La mutualisation des flottes (6 navires pour ASN) et des équipements permettrait également de réaliser des économies significatives et d'optimiser l'utilisation des ressources.
Renforcement de la position concurrentielle
Face à la montée en puissance du chinois Hengtong, qui a bénéficié de la rationalisation de la filière chinoise des câbles sous-marins, un rapprochement ASN-Orange Marine renforcerait considérablement la compétitivité française dans ce secteur stratégique.
Un atout géopolitique majeur
La combinaison d'ASN et d'Orange Marine créerait "la plus grande flotte mondiale de navires câbliers sous pavillon français", un atout considérable pour le rayonnement international de la France.
La position géographique stratégique de la France, notamment avec Marseille qui constitue l'un des grands hubs mondiaux des routes de l'Internet (avec une quinzaine de câbles connectant l'Europe à l'Afrique, au Moyen-Orient et à l'Asie), offrirait un véritable "levier de pouvoir dans les négociations avec d'autres puissances".
Un rare avantage français dans le numérique mondial
Dans un secteur numérique largement dominé par les acteurs américains, "la fabrication et la pose des câbles sous-marins sont un des rares secteurs du numérique où la France et l'Europe disposent d'un acteur de premier plan". Le renforcement de cette position constituerait un atout majeur à l'heure où les GAFAM investissent massivement dans les infrastructures de câbles sous-marins.
ASN représente également un investissement potentiellement rentable, avec un chiffre d'affaires de 1,12 milliard d'euros et des perspectives de "doublement ou triplement dans les années à venir". L'Agence des participations de l'État (APE) a d'ailleurs précisé que "l'acquisition d'ASN a vocation à être rentable".
Un champion français des profondeurs numériques
Cette nationalisation et une potentielle fusion avec Orange Marine représentent une opportunité unique pour la France de créer un champion national dans un secteur critique. Dans le contexte géopolitique actuel, caractérisé par une course à la maîtrise des infrastructures numériques, cette stratégie permettrait à la France de disposer d'un avantage compétitif rare tout en générant des bénéfices économiques substantiels.
Au-delà des câbles et des navires, c'est un véritable enjeu de souveraineté numérique qui se joue dans les profondeurs des océans. Un domaine où la France, avec cette nouvelle configuration, pourrait bien devenir l'un des acteurs incontournables du XXIe siècle.
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