Microsoft se plie à Bruxelles : Des concessions majeures pour Teams

Face à l'UE, Microsoft sépare Teams d'Office. Des concessions majeures qui évitent une amende record et bouleversent le marché mondial.

Microsoft se plie à Bruxelles : Des concessions majeures pour Teams

Face à une enquête antitrust qui s'éternise depuis 2020, Microsoft vient de déposer sur la table des concessions substantielles concernant son outil Teams. Le géant de Redmond propose désormais une véritable séparation entre sa plateforme collaborative et ses suites bureautiques, ainsi qu'une meilleure interopérabilité avec la concurrence pour éviter une sanction financière qui pourrait atteindre 10% de son chiffre d'affaires mondial.

Cinq ans d'enquête et de pressions

La bataille a démarré en juillet 2020 avec une plainte de Slack auprès de la Commission européenne. L'accusation était sans détour : Microsoft aurait "illégalement lié son produit Teams à sa suite bureautique Office, dominante sur le marché". Une stratégie que le plaignant comparait à celle condamnée lors des "guerres des navigateurs" des années 1990.

Ce n'est pourtant qu'en juillet 2023 que la Commission a lancé une enquête formelle, s'inquiétant que Microsoft "puisse accorder à Teams un avantage en matière de distribution" par cette intégration d'office. L'explosion du télétravail pendant la pandémie a transformé ces outils collaboratifs en infrastructure critique pour des millions d'entreprises, accentuant l'urgence réglementaire.

Les premières concessions de Microsoft en 2023 avaient été jugées largement insuffisantes. L'écart de prix entre les versions avec et sans Teams se limitait à 2 euros, tandis que Teams en version autonome coûtait 5 euros par mois. Une équation économique qui n'incitait guère à la désintégration des produits.

Des concessions qui changent la donne

Le 16 mai 2025, Microsoft a finalement proposé quatre engagements majeurs:

  1. Un différentiel tarifaire conséquent entre les suites avec et sans Teams, avec l'interdiction de proposer des remises plus avantageuses sur les versions intégrées.
  2. Une liberté de choix rétroactive permettant aux clients européens de migrer vers les versions sans Teams malgré des contrats en cours, avec déploiement possible dans des datacenters mondiaux.
  3. Une interopérabilité renforcée offrant aux concurrents l'accès à des fonctionnalités spécifiques de l'écosystème Microsoft, la possibilité d'intégrer les applications web Office dans leurs propres produits, et une intégration visible de leurs solutions dans les applications Microsoft.
  4. Une portabilité des données facilitant l'extraction et le transfert des messages Teams vers des plateformes concurrentes, limitant ainsi l'effet de verrouillage.

Ces engagements seraient valables sept ans, étendus à dix ans pour les obligations d'interopérabilité et de portabilité. Un administrateur indépendant superviserait leur mise en œuvre, avec un mécanisme d'arbitrage accéléré en cas de contestation.

Une portée mondiale malgré une enquête européenne

Fait remarquable : bien que ces concessions ne concernent formellement que l'Espace économique européen, Microsoft a annoncé leur application mondiale. "Nous avons décidé que nous alignerons en même temps les options et les prix pour nos suites et le service Teams à l'échelle mondiale", a confirmé l'entreprise.

Cette décision illustre l'effet Bruxelles, ce pouvoir normatif de l'Union européenne capable d'influencer les pratiques commerciales bien au-delà de ses frontières. Comme le reconnaît Nanna-Louise Linde, vice-présidente des affaires gouvernementales européennes chez Microsoft : "Nous reconnaissons notre responsabilité de suivre et de nous adapter aux lois et réglementations des pays où nous exerçons nos activités."

Des implications concrètes pour les entreprises

Pour les organisations déjà clientes, ces changements ouvrent de nouvelles perspectives. Les entreprises souhaitant utiliser d'autres solutions comme Slack, Zoom ou des alternatives européennes pourront réaliser des économies substantielles tout en conservant les applications Office. L'amélioration de l'interopérabilité facilitera l'intégration de solutions tierces dans l'écosystème Microsoft.

Du côté des concurrents, l'enjeu est majeur. Le marché de la communication et collaboration professionnelle connaît une croissance exponentielle depuis la normalisation du travail hybride. La Commission estimait que les pratiques de Microsoft avaient "limité artificiellement la pénétration d'alternatives comme Slack ou Zoom" auprès de la base installée de clients Office.

Ces propositions sont maintenant soumises à l'épreuve du marché. "La Commission invite les parties intéressées à donner leur avis sur les engagements proposés", indique l'autorité, ouvrant une période de consultation d'un mois. Les concurrents et clients auront donc l'occasion d'évaluer si ces mesures sont suffisantes pour restaurer une concurrence équitable.

Entre stratégie d'entreprise et conformité réglementaire

Si la Commission accepte ces engagements, Microsoft échapperait à une amende potentiellement colossale. L'entreprise semble avoir tiré les leçons de ses précédents démêlés antitrust, préférant s'adapter plutôt que risquer une confrontation coûteuse.

Cette affaire s'inscrit dans un contexte de surveillance accrue des géants technologiques en Europe. Microsoft doit également se conformer depuis mars 2024 au Digital Markets Act pour Windows et LinkedIn, désignés comme "contrôleurs d'accès".

L'Union européenne confirme ainsi sa position de régulateur de référence du numérique mondial. Pour Microsoft comme pour les autres géants technologiques, le message est sans ambiguïté : le marché européen reste accessible, mais sous réserve d'une concurrence loyale et d'une interopérabilité effective.

Ces concessions forment un précédent qui pourrait influencer d'autres enquêtes et pratiques commerciales dans le secteur technologique. La séparation de Teams et Office pourrait bien marquer un tournant dans la façon dont les plateformes dominantes intègrent de nouveaux services à leurs écosystèmes existants.