Medusa, le câble sous-marin qui fait de Marseille un hub numérique stratégique entre Europe et Afrique
Medusa, câble sous-marin de 8 760 km, connecte Europe et Afrique du Nord via Marseille. Enjeux de souveraineté numérique, financement UE et impact économique.

L'infrastructure numérique mondiale repose à 99% sur des câbles sous-marins invisibles aux yeux du grand public, mais cruciaux pour l'économie digitale. Le 8 octobre 2025, Marseille a accueilli le premier atterrissement du système de câble sous-marin Medusa, marquant une étape décisive dans la stratégie de connectivité entre l'Europe et l'Afrique du Nord. Ce projet d'envergure transforme la cité phocéenne en un carrefour numérique de premier plan et positionne la France au cœur des enjeux de souveraineté digitale méditerranéenne.
8 760 kilomètres de fibres pour connecter deux continents
Le câble Medusa déploie ses 8 760 kilomètres de fibres optiques à travers la Méditerranée pour relier 12 pays : Portugal, Espagne, France, Italie, Grèce, Chypre côté européen, et Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Égypte côté africain. Avec 19 points d'atterrissement prévus et une capacité totale de 480 Tbps, répartie sur 24 paires de fibres, le système affiche une ambition technique à la mesure de sa portée géographique.
Ce câble est conçu avec une capacité de 20 Tbps par paire de fibres, alimentée par la technologie de cohérence optique ICE7 de Nokia.
Le premier segment opérationnel relie Marseille à Bizerte en Tunisie et Nador au Maroc, avec une mise en service complète prévue fin 2025 pour la Méditerranée occidentale et premier semestre 2026 pour la partie orientale. Cette architecture dite "festoon" qui permet des connexions multiples entre différents segments, offre une résilience et une flexibilité rares dans ce type d'infrastructure.
Orange au centre d'un projet financé par l'Union européenne
Le projet Medusa est porté par AFR-IX Telecom, opérateur africain d'infrastructures télécoms basé à Barcelone, qui détient et gère le système. Mais l'infrastructure ne pourrait exister sans un montage financier complexe impliquant plusieurs acteurs clés.
Le coût total du projet est estimé à 342 millions d'euros. AFR-IX Telecom a investi environ 171,3 millions d'euros, soutenus par au moins 62,2 millions d'euros de subventions européennes via le programme Connecting Europe Facility (CEF), dont 40 millions d'euros de la Banque européenne d'investissement et jusqu'à 100 millions d'euros de prêts.
Orange joue un double rôle stratégique : d'une part comme partenaire infrastructurel en fournissant les stations d'atterrissement en France, en Tunisie et au Maroc, et d'autre part comme bénéficiaire d'une subvention européenne de 10 millions d'euros pour le segment Marseille-Bizerte. La construction a été confiée à Alcatel Submarine Networks et à Elettra Tlc.
Cette implication européenne s'inscrit dans la stratégie Global Gateway de l'UE, qui vise à renforcer les connexions entre l'Europe et l'Afrique tout en limitant la dépendance aux acteurs non européens dans les infrastructures critiques.
Marseille, nouveau carrefour digital européen face aux tensions géopolitiques
Le choix de Marseille comme point d'atterrissement principal en Europe n'est pas anodin. La ville accueille désormais 17 câbles sous-marins, ce qui la positionne comme l'un des hubs digitaux les plus dynamiques d'Europe, classée au 9e rang mondial.
Michael Trabbia, CEO d'Orange Wholesale, l'a souligné lors de l'atterrissement : "Cette arrivée renforce la souveraineté numérique de l'Europe et positionne Marseille comme un hub digital mondial." Orange a investi dans une nouvelle infrastructure urbaine redondante qui interconnecte l'ensemble des datacenters marseillais et établit des liaisons directes vers les principaux hubs européens (Paris, Londres, Francfort).
Cette dimension de souveraineté numérique n'est pas qu'un argument marketing. Dans un contexte géopolitique marqué par les tensions autour des câbles sous-marins (sabotages présumés en mer Baltique, coupures en mer Rouge, rivalité sino-américaine sur le contrôle des routes digitales), les pays européens cherchent à sécuriser leurs infrastructures critiques.
Le projet Medusa s'inscrit dans cette logique : financé et contrôlé par des entités européennes, il offre une alternative aux câbles contrôlés par des puissances concurrentes, notamment la Chine avec son câble PEACE (Pakistan and East Africa Connecting Europe).
Un levier de développement économique pour l'Afrique du Nord
Au-delà des enjeux européens, Medusa répond à un besoin criant de connectivité en Afrique du Nord. Le continent africain a connu la croissance la plus rapide au monde en bande passante internationale entre 2020 et 2025, avec un taux de croissance annuel composé de 41%.
Cette demande explosive s'explique par l'adoption massive de la téléphonie mobile, l'essor des services cloud et l'émergence de startups technologiques sur le continent. Pourtant, l'infrastructure existante reste fragile. En mars 2024, une série de coupures simultanées de câbles a privé d'Internet plus de 100 millions d'Africains, révélant la vulnérabilité des réseaux actuels.
Norman Albi, CEO de Medusa, insiste sur l'impact attendu : "En connectant directement l'Europe et l'Afrique, Medusa contribuera à réduire la fracture numérique." Le système en accès ouvert permettra aux opérateurs télécoms de la région d'accéder à des services de connectivité avancés, soutenant le déploiement de la 5G, la croissance des infrastructures cloud et les besoins croissants en bande passante liés à l'intelligence artificielle.
Les segments reliant directement les pays d'Afrique du Nord (Tunisie, Maroc, Algérie) à l'Europe réduiront la latence et les coûts, permettant aux entreprises locales de se connecter aux marchés européens dans des conditions compétitives.
Extension vers l'Afrique de l'Ouest : une ambition transatlantique
Le projet Medusa ne s'arrête pas à la Méditerranée. En mars 2025, AFR-IX Telecom a obtenu une subvention européenne de 14,3 millions d'euros pour étendre le câble vers l'Afrique de l'Ouest, créant ainsi un corridor Atlantique-Méditerranée.
En septembre 2024, l'agence américaine pour le commerce et le développement (USTDA) a également annoncé le financement d'une étude de faisabilité pour prolonger Medusa le long de la côte atlantique africaine. Cette extension pourrait améliorer l'accès digital de 22 pays africains et renforcer la résilience des réseaux face aux risques de congestion.
Thomas R. Hardy, directeur par intérim de l'USTDA, a justifié cet engagement en termes géopolitiques : "L'implication de l'USTDA aidera à sécuriser ce projet contre des fournisseurs d'infrastructures non fiables qui pourraient manipuler les marchés, intercepter des données et mener des opérations de surveillance."
Cette course aux câbles sous-marins africains reflète une compétition globale. Le câble 2Africa de Meta, long de 45 000 kilomètres et reliant 33 pays, et le projet Seacom 2.0 avec ses 48 paires de fibres, illustrent l'intensité de cet enjeu stratégique.
Une infrastructure résiliente face aux risques physiques et géopolitiques
Les câbles sous-marins représentent des infrastructures particulièrement vulnérables. Les causes de coupure sont multiples : ancres de navires, glissements de terrain sous-marins, activités de pêche, mais aussi potentiellement des actes de sabotage délibérés. En 2024, les incidents se sont multipliés : coupures en mer Rouge liées au conflit au Yémen, dommages suspectés de sabotage en mer Baltique.
Pour y répondre, Medusa intègre des technologies de surveillance avancées, notamment un système de maintenance prédictive et un dispositif de détection acoustique distribuée (DAS). L'architecture festoon avec ses multiples points de connexion permet également de maintenir une partie du service en cas de rupture localisée.
L'enjeu de la sécurité des câbles sous-marins est devenu si critique qu'en décembre 2024, les Nations Unies ont créé le premier groupe consultatif sur les câbles sous-marins pour développer des accords sur les meilleures pratiques de protection.
Des perspectives d'innovation portées par l'IA et la 5G
Au-delà de la simple connectivité, Medusa ambitionne de devenir une plateforme pour les technologies émergentes. Nokia, fournisseur des équipements optiques du câble, a souligné que le système est conçu pour supporter les besoins croissants de l'intelligence artificielle et de la société numérique.
La capacité de 20 Tbps par paire de fibres, permettra de répondre aux besoins futurs en bande passante. Les stations d'atterrissement, selon certains projets parallèles comme Seacom 2.0, pourraient à terme devenir de véritables "nœuds de communication IA", connectant les infrastructures d'intelligence artificielle africaines aux datacenters mondiaux.
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