Médias et revenus Google : un test révélateur

Médias et revenus Google : un test révélateur
Photo by Roman Kraft / Unsplash

Trois mois après la fin de son expérimentation polémique, Google dévoile les résultats de son test de suppression des actualités européennes dans les résultats de recherche. Le constat est sans appel : l'absence de contenus journalistiques n'affecte pas les revenus publicitaires du géant américain, malgré une légère baisse de fréquentation.

Une expérimentation contestée dès son lancement

Tout commence en novembre 2024, lorsque Google annonce vouloir mener un "test limité dans le temps" consistant à supprimer temporairement les actualités des éditeurs européens de ses services pour 1% des utilisateurs dans neuf pays du Vieux Continent. L'objectif affiché : "évaluer l'impact des résultats des éditeurs d'actualités de l'UE sur l'expérience de recherche et sur le trafic vers les éditeurs".

Immédiatement, cette initiative soulève une vague de protestations, particulièrement en France. Le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) saisit la justice en urgence, estimant que cette démarche contrevient aux engagements pris par Google auprès de l'Autorité de la concurrence française. Le tribunal de commerce de Paris suspend alors le test dans l'Hexagone sous peine d'une astreinte quotidienne de 300 000 euros pour Google.

Malgré cette interdiction française, l'expérimentation se poursuit dans huit autres pays européens (Belgique, Croatie, Danemark, Grèce, Italie, Pays-Bas, Pologne et Espagne) de mi-novembre 2024 à fin janvier 2025. Les utilisateurs concernés ne voyaient plus aucun contenu d'actualité européen dans leurs résultats de recherche Google, sur Google News ou sur Discover.

Des résultats qui bousculent l'écosystème médiatique

Les conclusions de ce test, publiées récemment, risquent de bouleverser les rapports de force entre Google et les éditeurs de presse. Selon le géant de Mountain View, "les contenus d'information dans Search n'ont pas d'impact mesurable sur les revenus publicitaires de Google".

L'étude révèle que le retrait des actualités européennes a certes provoqué une baisse de 0,8% de l'utilisation du moteur de recherche (mesurée en utilisateurs actifs quotidiens), mais n'a eu aucune incidence sur les revenus publicitaires. Paul Liu, responsable de l'expérimentation chez Google, explique ce paradoxe : "Cela montre que l'utilisation perdue correspond à des requêtes qui généraient des revenus minimes, voire nuls".

Cette conclusion fragilise considérablement la position des éditeurs de presse dans leurs négociations avec la firme américaine. Si les contenus journalistiques n'apportent pas de valeur économique tangible à Google, l'argument principal des médias pour réclamer une rémunération plus importante s'effondre.

Des enjeux financiers considérables

Ce test s'inscrit dans un contexte tendu de négociations sur les droits voisins entre Google et les groupes de presse européens. Instaurés par la directive européenne sur le droit d'auteur de 2019, ces droits obligent les plateformes numériques à rémunérer les éditeurs pour la reprise de leurs contenus.

En France, l'Alliance de la presse d'information générale (APIG) avait renouvelé en janvier 2025 son accord sur les droits voisins avec Google, initialement signé en 2022. Mais les montants précis de ces accords restent confidentiels et font l'objet d'âpres discussions.

Les résultats de cette expérimentation pourraient servir à Google d'argument massue lors des futures négociations. Si les contenus d'actualité n'influencent pas ses revenus, pourquoi continuer à verser des sommes importantes aux éditeurs ?

Des réactions contrastées dans l'industrie médiatique

Du côté des éditeurs, la réaction est vive. Le SEPM, qui avait obtenu le blocage du test en France, espère que la décision judiciaire "sera de nature à dissuader à l'avenir les plateformes de recourir à de telles mesures d'intimidation visant à dévaloriser l'apport de la presse à leur propre modèle économique".

Les groupes de presse font valoir que la vraie valeur des contenus journalistiques pour Google ne réside pas tant dans les revenus publicitaires directs que dans la crédibilité et la qualité apportées à l'écosystème global du moteur de recherche. Sans actualités fiables, c'est toute l'expérience utilisateur qui se dégraderait à terme.

D'autres observateurs soulignent également l'importance d'une presse indépendante dans un monde où la désinformation prolifère. Même si les actualités ne génèrent pas directement de revenus substantiels pour Google, elles contribuent à la santé de l'écosystème informationnel, un enjeu qui dépasse les simples considérations économiques.

Un contexte réglementaire qui se durcit

Cette publication intervient à un moment délicat pour Google, qui fait face à d'autres accusations antitrust en Europe. La Commission européenne vient d'ailleurs de publier une décision préliminaire accusant la firme d'avoir accordé un traitement de faveur à ses propres services (Shopping, Hotels et Flights) dans ses résultats de recherche, au détriment des comparateurs concurrents.

Le Digital Markets Act (DMA), entré en vigueur en mars 2024, impose désormais des contraintes fortes aux géants du numérique. Cette réglementation vise à limiter les pratiques anticoncurrentielles et à rééquilibrer les rapports de force entre les plateformes et leurs utilisateurs professionnels, dont font partie les médias.

La question est maintenant de savoir comment les régulateurs européens vont intégrer les résultats de ce test dans leur réflexion globale sur l'encadrement des plateformes numériques et le financement durable de l'information de qualité.

Vers un nouveau modèle d'équilibre ?

Le bras de fer entre Google et les éditeurs de presse est loin d'être terminé. Si l'expérimentation confirme que le géant technologique peut se passer des contenus d'actualité sans impact économique majeur, elle rappelle aussi l'interdépendance complexe qui lie les deux écosystèmes.

Pour l'heure, Google assure qu'il "continuera de collaborer avec les éditeurs pour les aider à atteindre leur public dans un monde où les technologies évoluent rapidement". Mais cette collaboration prendra-t-elle la forme d'un partenariat équilibré ou d'une relation de dépendance de plus en plus asymétrique ? L'avenir du journalisme en ligne dépend en partie de la réponse à cette question.