L'Europe veut reprendre le contrôle de sa tech

L'Europe contre-attaque : 33 recommandations pour échapper aux GAFAM et reconquérir sa souveraineté numérique. Plus de 300 entreprises mobilisées.

L'Europe veut reprendre le contrôle de sa tech

L'Innovation Makers Alliance vient de frapper un grand coup en publiant un manifeste de 33 recommandations pour reconquérir l'indépendance technologique européenne. Soutenu par plus de 300 entreprises dont Orange, Airbus et OVH, ce document arrive à point nommé dans un contexte de "guerre froide technologique" où l'Europe peine à rivaliser avec les géants américains et chinois.

Aux origines d'une prise de conscience tardive

La question de la souveraineté numérique européenne a longtemps été reléguée au second plan, occultée par l'attrait des solutions technologiques "clé en main" proposées par les GAFAM. Créée en 2015, l'Innovation Makers Alliance a progressivement fédéré plus de 8000 décideurs technologiques issus des grandes entreprises françaises et européennes.

Le déclic s'est produit avec l'intensification des tensions géopolitiques et l'élection de Donald Trump, créant un climat d'incertitude sur l'avenir des relations transatlantiques. La récente destitution de trois membres du Privacy and Civil Liberties Oversight Board américain illustre parfaitement cette fragilisation des accords de protection des données entre l'Europe et les États-Unis.

L'urgence s'est cristallisée lors du sommet pour la souveraineté technologique organisé en janvier 2025 au ministère de l'Économie, réunissant plus de 500 décideurs. Cette mobilisation sans précédent témoigne d'une prise de conscience collective face aux risques de décrochage technologique définitif.

Un plan d'action concret en sept axes stratégiques

Le manifeste de l'IMA se structure autour de sept domaines technologiques critiques : intelligence artificielle, cloud computing, no-code, et autres infrastructures numériques essentielles. L'approche vise à créer des alternatives européennes viables aux solutions américaines et chinoises dominantes.

La mesure phare consiste à créer une plateforme centralisée pour mettre en relation les besoins des grands groupes européens avec l'offre des start-ups du continent. Cette infrastructure favoriserait les synergies entre grandes entreprises et jeunes pousses, créant un écosystème d'innovation véritablement européen.

Le "Small Business Act européen", inspiré du modèle américain, réserverait un pourcentage significatif des marchés publics aux PME et start-ups technologiques européennes. Une mesure qui pourrait transformer l'écosystème entrepreneurial en garantissant aux jeunes entreprises un accès privilégié aux commandes publiques.

Plus original, le "bonus souveraineté" français offrirait une réduction automatique du prix d'achat des solutions technologiques européennes, accompagnée de réductions de charges pour les entreprises adoptantes. Un mécanisme calqué sur le bonus écologique pour rendre les alternatives européennes financièrement attractives.

Des cas d'usage qui révèlent l'ampleur du défi

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : plus de 70% des données des entreprises européennes sont stockées sur des infrastructures non européennes, exposant ces informations aux législations extraterritoriales comme le Cloud Act américain. Le projet GAIA-X, initiative franco-allemande pour un cloud souverain, tente de répondre à cette problématique avec des résultats encore mitigés.

L'intelligence artificielle illustre parfaitement ces enjeux. Malgré des succès comme Mistral AI, la domination américaine et chinoise reste écrasante. L'Union européenne a choisi l'approche réglementaire avec l'AI Act, mais cette stratégie pourrait paradoxalement freiner l'innovation européenne face à des concurrents moins contraints.

Le secteur du no-code offre des perspectives plus encourageantes avec des solutions open source européennes comme Baserow (Pays-Bas), N8n (Allemagne) ou Convertigo (France). Ces plateformes permettent de déployer des applications sans dépendre des clouds américains, tout en respectant le RGPD.

L'enjeu économique est colossal : près de 25% du chiffre d'affaires des GAFAM provient d'Europe, représentant une "rente numérique" prélevée sur l'économie européenne. Reconquérir une partie de cette valeur transformerait la donne pour l'écosystème technologique européen.

Conseils pratiques pour les décideurs

Les entreprises européennes peuvent dès maintenant intégrer des critères de souveraineté dans leurs choix technologiques. Privilégier les solutions hébergées en Europe, même si elles coûtent légèrement plus cher, contribue à développer l'écosystème local et réduit les risques juridiques liés aux législations extraterritoriales.

L'évaluation des fournisseurs doit inclure des critères de localisation des données, de transparence des algorithmes et de capacité à garantir la continuité de service indépendamment des tensions géopolitiques. Une démarche qui nécessite parfois d'accepter des compromis sur les fonctionnalités au profit de l'autonomie stratégique.

Pour les start-ups technologiques, l'opportunité est immense. Le marché européen recherche activement des alternatives crédibles aux solutions américaines et chinoises. Se positionner sur ces créneaux avec une approche "privacy by design" et une gouvernance transparente constitue un avantage concurrentiel décisif.

Le manifeste de l'Innovation Makers Alliance trace une feuille de route ambitieuse mais réaliste pour reconquérir l'indépendance technologique européenne. La réussite de cette initiative dépendra de la capacité des pouvoirs publics à transformer ces 33 recommandations en politiques concrètes, tout en préservant l'innovation et la compétitivité européennes.

Pour approfondir : Innovation Makers Alliance