L'Europe active son contrôle biométrique aux frontières : ce qui change avec l'EES

L'UE déploie l'EES depuis octobre 2025 : contrôle biométrique aux frontières, fin du tampon papier.

L'Europe active son contrôle biométrique aux frontières : ce qui change avec l'EES
Photo by Daniel Schludi / Unsplash

Depuis le 12 octobre 2025, l'Union européenne déploie l'Entry/Exit System (EES), un nouveau dispositif numérique de contrôle aux frontières. Fini le tampon sur le passeport : les 29 pays de l'espace Schengen franchissent un cap technologique majeur dans la gestion de leurs frontières extérieures, avec des implications significatives pour 450 millions de passages annuels de ressortissants non-européens.

Un déploiement progressif après des années de reports

L'EES entre en service le 12 octobre 2025 selon un calendrier de déploiement progressif sur six mois, avec une mise en œuvre complète prévue pour le 10 avril 2026. Cette entrée en vigueur marque l'aboutissement d'un projet lancé en 2016 par la Commission européenne, qui a connu plusieurs reports successifs. Les autorités européennes ont choisi une approche graduelle pour permettre aux États membres, aux voyageurs et au secteur du transport de s'adapter aux nouvelles procédures.

Selon les informations rapportées par Euronews, seuls trois pays (Estonie, Luxembourg et République tchèque) ont activé l'EES pour l'ensemble de leurs points de passage dès le 12 octobre. La France et l'Allemagne, confrontées à des volumes de trafic considérables, adoptent une montée en charge plus prudente. Pendant cette période transitoire, les passeports continueront à être tamponnés parallèlement à l'enregistrement électronique.

La Commission européenne estime le coût de mise en œuvre de l'EES à 480,2 millions d'euros sur quatre ans, à la charge du budget de l'Union européenne.

De la frontière physique à la frontière numérique : une transformation technique d'ampleur

L'EES bouleverse radicalement la mécanique du contrôle frontalier. Lors du premier passage, les voyageurs devront fournir des données biographiques (identité, document de voyage, nationalité) et des données biométriques (photo faciale et empreintes digitales, sauf pour les enfants de moins de 12 ans), ainsi que les lieux et dates de passage aux frontières. Cette collecte initiale permet de créer un dossier numérique stocké dans une base de données centralisée européenne.

Les données sont hébergées par l'agence eu-LISA, dont les serveurs se trouvent à Strasbourg. Cette agence européenne, créée spécifiquement pour développer et gérer les systèmes d'information sensibles dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, garantit l'infrastructure technique du dispositif.

Les informations collectées sont conservées entre 3 et 5 ans selon les cas, et le refus de fournir les données biométriques entraîne automatiquement un refus d'entrée sur le territoire. Lors des passages ultérieurs dans l'espace Schengen, seule une vérification biométrique rapide (empreinte digitale ou photo faciale) sera nécessaire, le système calculant automatiquement la durée de séjour restante autorisée.

Entre sécurité et fluidité : les promesses d'un système automatisé

La Commission européenne présente l'EES comme un outil permettant d'identifier plus efficacement les dépassements de séjour autorisé (overstayers) ainsi que les cas de fraude documentaire et d'usurpation d'identité. Le système offre aux autorités nationales un accès en temps réel à des informations fiables sur les entrées et sorties dans l'espace Schengen, marquant une modernisation significative de la gestion des frontières.

Pour limiter l'allongement des temps d'attente, la France a déployé des dispositifs technologiques de pré-enregistrement sur les 25 principaux aéroports, ports et gares ferroviaires du territoire. Ces bornes et tablettes, repérables grâce à une signalétique spécifique, permettent aux voyageurs de réaliser les formalités biométriques quelques mètres avant les postes de contrôle des gardes-frontières, de façon facultative et gratuite.

Le système EES s'applique à tous les ressortissants de pays tiers effectuant un séjour de courte durée (maximum 90 jours sur une période de 180 jours), qu'ils disposent d'un visa ou non.

Les zones grises de la protection des données personnelles

Si la Commission européenne affirme que l'EES respecte les standards les plus élevés en matière de protection des données et de vie privée, des voix critiques s'élèvent sur la proportionnalité du dispositif. Une analyse juridique publiée par l'Edinburgh Europa Institute questionne la légitimité de l'ingérence dans les droits à la vie privée et à la protection des données personnelles, particulièrement concernant les durées de rétention des données.

Cette étude souligne que la période de rétention de 3 ans pour le premier objectif de gestion des frontières pourrait excéder ce qui est strictement nécessaire, notamment pour les ressortissants de pays tiers qui ne constituent pas une menace pour la sécurité publique. Le règlement EES ne prévoit pas de dépersonnalisation des données après un certain délai, les ressortissants de pays tiers restant identifiables durant toute la période de rétention.

L'accès aux données collectées est strictement encadré : seuls Europol, les autorités frontalières et les services de l'immigration disposent d'un accès direct, les autorités chargées d'enquêtes pouvant également consulter les informations sur les franchissements de frontières et l'historique de voyage. Néanmoins, l'interconnexion avec d'autres systèmes européens (SIS, VIS, Europol) crée une architecture de surveillance qui mérite un suivi attentif de la part des autorités de protection des données.

ETIAS à l'horizon 2026 : vers un modèle inspiré de l'ESTA américain

L'EES constitue la première brique d'une transformation plus large, puisque le système ETIAS (European Travel Information and Authorisation System) doit être déployé au dernier trimestre 2026. Ce dispositif d'autorisation de voyage électronique, inspiré du modèle américain ESTA, concernera les ressortissants de pays actuellement exemptés de visa, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et l'Australie.

L'autorisation ETIAS sera délivrée après acquittement d'une taxe de 7 euros, dans un délai maximum de 96 heures à compter de la demande. Valable trois ans ou jusqu'à l'expiration du document de voyage, cette autorisation permettra des entrées multiples dans l'espace Schengen, sous réserve de respecter la limite de 90 jours sur une période de 180 jours.

L'articulation entre EES et ETIAS dessine un écosystème numérique de contrôle des frontières comparable aux dispositifs américains, canadiens ou australiens. La différence majeure réside dans la complexité de coordonner 29 pays membres aux infrastructures et capacités techniques hétérogènes, là où les systèmes extra-européens s'appuient sur des dispositifs nationaux unifiés.