Le Danemark tourne le dos à Microsoft : un pas vers l'autonomie numérique européenne

Le Danemark abandonne Microsoft pour Linux et LibreOffice : une décision historique motivée par des enjeux de souveraineté numérique et d'indépendance technologique.

Le Danemark tourne le dos à Microsoft : un pas vers l'autonomie numérique européenne

Le ministère danois de la Numérisation vient de prendre une décision radicale qui pourrait redessiner le paysage technologique européen. Caroline Stage Olsen, ministre depuis août 2024, a annoncé l'abandon progressif de l'écosystème Microsoft au profit de solutions open source. Un choix qui s'inscrit dans une quête d'indépendance technologique face aux géants américains.

Une rupture aux motivations multiples

Cette initiative s'enracine dans un contexte géopolitique tendu. Le cas du procureur général Karim Khan, privé de son accès Microsoft suite aux pressions américaines, a servi d'électrochoc. "Si nous ne pouvons soudain plus envoyer de courriels ou communiquer en interne en raison de retombées politiques, c'est un énorme problème", résume Henrik Appel Espersen, président du comité d'audit de Copenhague.

Les villes de Copenhague et Aarhus avaient déjà ouvert la voie, confrontées à une explosion des coûts de licences. La capitale danoise a vu sa facture Microsoft bondir de 313 millions de couronnes en 2018 à 538 millions en 2023, une hausse vertigineuse de 72% en cinq ans. La fin programmée du support de Windows 10 pour octobre 2025 a également accéléré cette réflexion stratégique.

Une migration ambitieuse mais prudente

Le calendrier dévoilé par la ministre est ambitieux : dès cet été, la moitié des employés du ministère abandonneront Windows pour Linux, tandis qu'Office cédera sa place à LibreOffice. L'objectif affiché est d'atteindre l'indépendance totale vis-à-vis de Microsoft d'ici l'automne 2025.

Caroline Stage Olsen reste néanmoins pragmatique : "Si la transition s'avère trop compliquée, nous pouvons revenir à Microsoft en un instant". Cette prudence témoigne de la complexité inhérente à changer des décennies d'habitudes numériques dans une administration moderne.

L'alternative open source : viable et éprouvée

Le monde open source offre aujourd'hui un écosystème mature capable de répondre aux besoins des administrations. LibreOffice pour la bureautique, Nextcloud pour le stockage cloud, Element pour la messagerie, ou encore Collabora Online pour le travail collaboratif, autant d'alternatives qui garantissent transparence et sécurité du code source.

La France possède déjà une solide expérience dans ce domaine avec environ 500 000 installations de LibreOffice dans sa sphère publique. Le programme MIMO (Mutualisation InterMinistérielle Office) a démontré que les solutions libres peuvent parfaitement s'adapter aux besoins spécifiques des agents publics.

Les écueils à éviter

L'histoire de Munich plane comme une ombre sur cette initiative danoise. La ville allemande avait migré vers Linux avec sa distribution LiMux en 2004, avant de faire marche arrière en 2017. Problèmes de compatibilité, bugs récurrents et résistance des utilisateurs avaient eu raison de cette expérience pionnière.

Mette Harbo, directrice informatique de la région de la capitale danoise, exprime d'ailleurs ses réserves, jugeant "impossible" pour le pays de se détacher complètement de Microsoft. Un scepticisme qui reflète les défis techniques et culturels d'une telle transition.

Un mouvement européen qui s'amplifie

Le Danemark n'est pas seul dans cette quête d'émancipation numérique. Le Schleswig-Holstein allemand prévoit de migrer 30 000 postes vers Linux d'ici 2027. Ces initiatives convergent vers un objectif commun : réduire la vulnérabilité de l'Europe face aux législations extraterritoriales comme le Cloud Act américain.

Le timing n'est pas anodin : le Danemark prendra la présidence tournante de l'Union européenne le 1er juillet 2025, offrant une tribune idéale pour promouvoir cette vision d'autonomie technologique. "Le Danemark est l'un des pays les plus numérisés au monde et aussi l'un des plus dépendants de Microsoft", souligne David Heinemeier Hansson, créateur de Ruby on Rails, renforçant la portée symbolique de cette décision.

Un test grandeur nature pour la souveraineté numérique

La transition danoise représente un laboratoire à ciel ouvert pour l'Europe technologique de demain. Si elle réussit, elle pourrait inspirer d'autres nations à suivre le même chemin et démontrer qu'une alternative crédible à l'hégémonie des géants américains est non seulement possible, mais souhaitable.

L'enjeu dépasse largement le simple choix technologique : il s'agit de préserver la capacité d'action autonome des États européens à l'ère du numérique. Dans un monde où les données sont devenues le nerf de la guerre, le Danemark tente un pari audacieux – celui de la liberté numérique.