Gmail sous pression : 500 millions d'euros requis pour publicités non consenties
Google pourrait payer 500M€ pour avoir inséré des publicités déguisées en emails dans Gmail sans consentement explicite, violant la directive ePrivacy selon la CNIL.

Gmail sous pression : 500 millions d'euros requis pour publicités non consenties
La CNIL pourrait infliger une amende historique à Google pour des pratiques publicitaires controversées sur sa plateforme Gmail. L'autorité examine actuellement une sanction de plus de 500 millions d'euros contre le géant américain, accusé d'envoyer des publicités déguisées en emails sans obtenir le consentement explicite des utilisateurs.
L'ironie du filtreur de spam devenu spammeur
Gmail, qui filtre quotidiennement près de 15 milliards d'emails indésirables, se retrouve paradoxalement accusé de pratiquer lui-même une forme sophistiquée de spam. L'affaire concerne des messages promotionnels que Google insère directement dans les boîtes de réception, identifiables uniquement par une discrète mention "Annonce" en vert et l'absence de date d'envoi. Ces publicités, issues des clients de la régie publicitaire de Google, contournent les filtres anti-spam habituels pour atterrir directement dans l'onglet "Promotions" des utilisateurs.
Une plainte portée par les défenseurs de la vie privée
L'association autrichienne NOYB (None Of Your Business), pilotée par l'activiste Max Schrems, a déposé la plainte initiale en 2022. Pour Romain Robert, juriste chez NOYB, le principe est simple : "Le spam est un email commercial envoyé sans consentement. Et c'est illégal. Le spam ne devient pas légal simplement parce qu'il est généré par le fournisseur de la messagerie."
La réglementation européenne sur ce point laisse peu de place à l'interprétation. La directive ePrivacy impose aux entreprises d'obtenir un consentement "libre, spécifique, éclairé et univoque" avant tout envoi de communications commerciales. Ce consentement doit résulter d'une action positive de l'utilisateur, comme cocher une case non pré-cochée.
Des précédents juridiques clairs
La Cour de justice de l'Union européenne a précisé en 2021 que toute publicité apparaissant dans la boîte de réception constitue du marketing direct soumis à consentement. "Si ça ressemble à un email, si ça sent comme un email, alors c'est un email", résume Eliška Andrš de NOYB, soulignant que la forme prime sur le canal technique utilisé.
Pour les utilisateurs, la distinction reste floue. Ces publicités intégrées créent l'illusion d'un abonnement volontaire alors qu'aucun consentement explicite n'a été donné pour recevoir ces communications commerciales ciblées.
Google, habitué des sanctions européennes
Cette affaire s'ajoute à une longue liste de contentieux européens pour Google. En France, l'entreprise a déjà payé 500 millions d'euros en 2021 pour non-respect des droits voisins de la presse, puis 250 millions supplémentaires en 2024 pour manquement à ses engagements dans ce dossier. La CNIL elle-même avait infligé 150 millions d'euros d'amende en décembre 2021 pour violation des règles sur les cookies.
Au niveau européen, les sanctions s'accumulent également : 2,4 milliards d'euros confirmés en 2024 pour abus de position dominante sur Google Shopping et 4,1 milliards pour ses pratiques sur Android.
Un modèle publicitaire en question
Le paradoxe technique est saisissant. Google a durci ses règles anti-spam depuis février 2024, exigeant des expéditeurs en masse une authentification renforcée (SPF, DKIM, DMARC) et des liens de désabonnement simplifiés. Ces mesures strictes ne s'appliqueraient pas à ses propres publicités intégrées à Gmail.
Avec plus de 1,8 milliard d'utilisateurs dans le monde, même une faible proportion de publicités ciblées représente des revenus substantiels pour Alphabet, la maison-mère de Google. Cette dimension économique explique en partie pourquoi l'entreprise a maintenu ces pratiques malgré les risques juridiques évidents.
Des conséquences potentiellement systémiques
Si la CNIL, reconnue comme l'un des régulateurs les plus stricts d'Europe, confirme l'amende de 525 millions d'euros, cette sanction rejoindrait le club très fermé des amendes record contre les géants technologiques.
Au-delà de l'aspect financier, une condamnation pourrait forcer Google à revoir fondamentalement son modèle publicitaire sur Gmail. L'entreprise devrait alors soit obtenir un consentement explicite de chaque utilisateur pour ces publicités, soit les supprimer complètement de la plateforme.
Cette affaire illustre parfaitement la tension croissante entre les pratiques commerciales des géants du numérique et la réglementation européenne sur la protection des données personnelles. Elle pourrait faire jurisprudence pour d'autres plateformes utilisant des méthodes similaires de monétisation publicitaire.
En attendant la décision finale, Google n'a pas souhaité commenter cette procédure en cours. L'issue de cette bataille juridique dessinera sans doute les contours futurs de la publicité numérique en Europe.
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