Free TV : quand Xavier Niel attaque frontalement le streaming télévisuel français
Free TV bouleverse le streaming français avec 170 chaînes gratuites et une offre premium à 5,99€/mois. Analyse de l'offensive de Xavier Niel face à Molotov.
Free ouvre gratuitement son application TV à l'ensemble des Français, abonnés ou non. Une offensive qui vise Molotov et Canal+, mais qui révèle aussi une stratégie bien plus large : reprendre le contrôle de la télévision à l'ère du streaming fragmenté.
170 chaînes gratuites : l'offre la plus large du marché français
Free TV se présente comme la plus vaste offre télévisuelle gratuite de France. Les chiffres sont sans appel : 170 chaînes en direct, dont 16 de la TNT (hors TF1 et M6), 25 000 programmes en replay et un service AVOD baptisé Free Ciné regroupant plus de 500 films et 1 000 épisodes de séries. Le tout accessible gratuitement, sur simple création de compte.
Cette offre gratuite écrase numériquement celle de Molotov, qui propose une cinquantaine de chaînes dans sa formule sans abonnement, et celle de Canal+ TV+, qui en affiche 80 pour 2 euros par mois. Sur le papier, Free frappe fort.
"Regarder la télé, en 2025, c'est une galère : faut télécharger une app pour chaque chaîne, se créer un compte sur chaque app. On a décidé de changer tout ça. Maintenant, la télé, c'est simple. Maintenant, la télé, c'est Free."
Mais ce tableau comporte une nuance majeure : l'absence des chaînes des groupes TF1 et M6. Ces deux poids lourds de l'audiovisuel français, qui représentent une part considérable de l'audience télévisuelle, refusent de diffuser gratuitement leurs contenus sur les plateformes tierces, exigeant une rémunération. Free TV reproduit donc exactement la même limitation que Molotov dans sa version gratuite.
D'OQEE à Free TV : une mutation stratégique, pas seulement cosmétique
Free TV n'est pas une création ex nihilo. L'application remplace OQEE by Free, lancée en 2020 pour les abonnés Freebox. Mais le changement de nom masque une transformation bien plus profonde : OQEE était un service fermé, réservé aux clients de l'opérateur. Free TV devient universel.
Les abonnés Freebox voient leur application OQEE se renommer automatiquement en Free TV, avec au passage un enrichissement substantiel : 27 nouvelles chaînes thématiques, plus de 250 films et plus de 700 épisodes de séries supplémentaires dans le catalogue Free Ciné. Pour ces clients privilégiés, la migration est transparente, mais les bénéfices sont tangibles.
L'architecture technique a également été repensée pour absorber une audience nationale. Free s'appuie sur un modèle cloud et OTT (Over-The-Top) optimisé pour la diffusion multi-supports, garantissant fluidité et résilience réseau. L'application est disponible sur smartphones (iOS, Android), tablettes, ordinateurs via le site tv.free.fr, téléviseurs connectés Samsung, LG, Philips et Hisense, ainsi que sur les players Freebox.
Free TV+ : 300 chaînes pour les abonnés, et pour 5,99€/mois pour les autres
Parallèlement à l'offre gratuite, Free lance Free TV+, une version premium qui inclut toutes les chaînes de la TNT (y compris TF1 et M6), soit plus de 300 chaînes au total, 45 000 programmes en replay, et des chaînes habituellement payantes comme Disney Channel, National Geographic, CNN International ou Mangas.
Cette offre premium est automatiquement incluse pour les abonnés Freebox avec le service TV et les détenteurs des forfaits mobiles Free 5G et Série Free. Pour les non-abonnés, le tarif est fixé à 0,99 euro par mois pendant un an, puis 5,99 euros par mois sans engagement.
Le positionnement tarifaire est agressif : Molotov propose son offre Extra (avec 100 chaînes et enregistrement) à 6,99 euros par mois, tandis que Canal+ TV+ à 2 euros par mois offre 80 chaînes. Free TV+ se situe donc entre les deux, mais avec le catalogue le plus fourni du marché français.
Les abonnés Freebox bénéficient en plus de fonctionnalités d'enregistrement dans le cloud : 100 heures pour la Freebox Pop, 320 heures pour la Freebox Ultra, un avantage que Molotov propose dans ses formules payantes mais que Free TV+ intègre sans surcoût pour ses clients box.
Xavier Niel face à Molotov : une revanche après un investissement raté ?
L'histoire entre Xavier Niel et Molotov mérite d'être racontée. En 2019, le fondateur de Free avait injecté 32 millions d'euros dans Molotov via sa holding personnelle NJJ, alors que la plateforme était valorisée à 75 millions d'euros. Un pari risqué sur le pionnier français du streaming TV unifié.
Molotov, fondé en 2016 par Jean-David Blanc (cofondateur d'Allociné) et Pierre Lescure (cofondateur de Canal+), promettait de révolutionner la télévision avec une interface moderne et des fonctionnalités avancées. Mais le modèle économique n'a jamais décollé : fin 2020, la plateforme affichait 90 millions d'euros de pertes cumulées. Si Molotov revendiquait 200 000 abonnés payants en 2020, les revenus restaient insuffisants pour équilibrer les comptes.
En 2021, Molotov a été racheté par le groupe américain FuboTV, principalement par échange d'actions. Sauf que l'action FuboTV a perdu 70 % de sa valeur entre octobre 2021 et juin 2022, transformant l'opération en fiasco financier pour les actionnaires, dont Xavier Niel. Jean-David Blanc a depuis engagé une bataille judiciaire contre ses anciens actionnaires, Xavier Niel et le fonds Eurazeo.
Difficile, dans ce contexte, de ne pas voir dans Free TV une forme de contre-attaque. Xavier Niel, qui dispose avec Free d'une infrastructure télécoms et d'une base de 23,1 millions d'abonnés en France à mi-2025, peut se permettre de distribuer gratuitement une offre TV sans dépendre d'un modèle d'abonnement fragile comme celui de Molotov.
Un modèle économique qui repose sur la publicité et l'intégration verticale
Comment Free peut-il se permettre de proposer gratuitement 170 chaînes là où Molotov peine à rentabiliser son offre ? La réponse tient à l'intégration verticale et à la monétisation publicitaire.
Free contrôle toute la chaîne de valeur : réseau, box, application et régie publicitaire. Les données d'usage (durées d'écoute, préférences, comportements de visionnage) deviennent autant de leviers pour optimiser la publicité ciblée, le principal vecteur de revenus de Free Ciné, le service AVOD de l'opérateur.
Contrairement à Molotov, Free n'a pas besoin que Free TV soit rentable en tant que tel. L'application sert d'abord à fidéliser les abonnés existants (qui bénéficient automatiquement de Free TV+) et à attirer de nouveaux clients vers les offres Freebox ou mobile. C'est une arme de conquête commerciale, pas un produit autonome.
Ce positionnement explique pourquoi Free peut se permettre d'être plus agressif que Molotov sur les prix et plus généreux sur le catalogue gratuit.
La fragmentation du streaming français : un chaos que Free entend capitaliser
Le discours de Xavier Niel sur "la galère de regarder la télé en 2025" résonne avec une réalité vécue par les téléspectateurs français. TF1+, M6+, France.tv, Arte.tv, Pluto TV... chaque groupe audiovisuel a développé sa propre application, obligeant les utilisateurs à jongler entre plusieurs comptes et interfaces.
Free TV promet de réunifier cet écosystème fragmenté. Mais la promesse est en partie trompeuse : puisque TF1 et M6 ne sont pas inclus dans la version gratuite, l'utilisateur devra de toute façon installer les applications dédiées de ces groupes pour accéder à leurs contenus. La simplification annoncée reste donc partielle.
Molotov a été confronté au même obstacle : après plusieurs années de procédures judiciaires, TF1 et M6 ont obtenu le retrait de leurs flux vidéo et de leurs replays de la plateforme. Seule la version payante de Molotov permet désormais d'y accéder.
Free TV ne réinvente donc pas le modèle, mais mise sur la force de frappe commerciale de Free et sur l'intégration avec ses offres box et mobile pour s'imposer face à un Molotov affaibli.
Une guerre d'usure dans laquelle Free a les moyens de tenir
Molotov compte aujourd'hui plus de 20 millions d'utilisateurs, mais cette audience massive ne se traduit pas en rentabilité. L'entreprise, rachetée par un acteur étranger en difficulté financière, semble avoir perdu sa dynamique initiale.
Face à elle, Free dispose d'atouts structurels majeurs : une infrastructure télécoms déjà amortie, une base d'abonnés captive, un écosystème intégré et des ressources financières bien supérieures. Free TV n'a pas besoin d'être immédiatement rentable pour justifier son existence. Il suffit qu'il fidélise les clients existants et en attire de nouveaux vers les offres payantes de l'opérateur.
Dans cette guerre d'usure, Molotov, déjà fragilisé par ses difficultés économiques et son rachat raté, risque de perdre progressivement du terrain. Canal+ TV+, lancé en mai 2024 à 2 euros par mois, dispose d'une meilleure assise financière mais d'un catalogue moins large que Free TV+ (80 chaînes contre plus de 300).
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