Fin de la 2G : quand l'innovation dérange les retardataires

Fin de la 2G en France en 2026 : tensions entre opérateurs et pros qui ont traîné 4 ans. Calcul économique ou négligence coupable ?

Fin de la 2G : quand l'innovation dérange les retardataires

L'horloge égraine les derniers mois de la 2G française. Orange tire la prise en septembre 2026, SFR et Bouygues Telecom suivent le mouvement. Soudain, c'est la panique : ascenseurs, téléassistance, alarmes... Des centaines de milliers d'équipements semblent découvrir qu'ils vont perdre leur ligne de vie numérique. Comme si personne n'avait vu venir cette révolution annoncée depuis des années.

Quand les dinosaures refusent l'extinction

La 2G s'est imposée en France au milieu des années 90, révolutionnant les communications mobiles avec l'arrivée des SMS et des premiers services data. Cette technologie, baptisée GSM (Global System for Mobile Communications), a permis l'explosion de la téléphonie mobile grand public. La 3G lui a emboîté le pas en 2004, apportant l'internet mobile et ouvrant la voie aux smartphones.

Deux décennies plus tard, le constat est sans appel : ces réseaux pionniers sont devenus des fossiles technologiques. Plus de 200 réseaux 2G et 3G ont déjà tiré leur révérence dans le monde entre 2010 et 2024. La Suisse a fait ses adieux à la 2G, l'Allemagne a débranché toute sa 3G fin 2021.

Pourtant, en France, certains secteurs industriels s'accrochent à ces technologies avec une ténacité suspecte. Quatre ans d'avertissements n'ont manifestement pas suffi à déclencher la moindre anticipation. Une négligence ? Ou un calcul économique bien plus cynique ?

Trois arguments imparables pour larguer la 2G

Les opérateurs ne jouent pas les fossoyeurs par plaisir. Trois arguments solides les poussent vers cette fermeture programmée.

La sécurité d'abord : les protocoles 2G accusent leur âge face aux cybermenaces modernes. Ces réseaux conçus dans les années 90 n'intègrent aucune protection digne de ce nom contre les techniques de piratage actuelles. À l'inverse, la 4G et la 5G embarquent des systèmes de chiffrement robustes, pensés pour résister aux attaques contemporaines.

L'efficacité énergétique constitue le second enjeu majeur. Selon l'Arcep, les réseaux 2G et 3G engloutissent entre 21 et 33% de la consommation des infrastructures mobiles pour véhiculer un trafic dérisoire. Cette gabegie énergétique devient indéfendable à l'heure de la sobriété numérique.

Le troisième motif relève de la performance pure. Orange le dit clairement : ces technologies "n'atteignent plus les niveaux d'exigence actuels" et "ne garantissent plus la meilleure qualité". Les opérateurs préfèrent investir massivement dans l'avenir plutôt que de maintenir sous perfusion des réseaux obsolètes.

Sept millions d'objets... et un réveil tardif suspect

Le calendrier d'extinction provoque soudain un réveil brutal. Orange entamera les actions préparatoires dès le 31 décembre 2025, testera l'arrêt dans neuf départements du Sud-Ouest le 9 mars 2026, puis procédera à l'extinction complète fin septembre. SFR et Bouygues Telecom suivront cette échéance de fin 2026 pour la 2G, accordant un sursis généreux à la 3G jusqu'en 2028-2029.

Problème : 7,4 millions de machines restent connectées aux anciens réseaux. Les ascenseurs représentent un défi colossal avec 232 000 systèmes communicants en 2G à migrer, soit près de la moitié du parc national. La téléassistance aux personnes âgées concerne 300 000 dispositifs qui traitent 50 000 appels critiques par an.

Soudain, les professionnels découvrent l'urgence et crient au calendrier "irréaliste". Pourtant, Orange prévient depuis 2022 de la fin programmée de son réseau 2G. Quatre ans d'avance, manifestement insuffisants pour des secteurs qui semblent avoir préféré rentabiliser au maximum leurs équipements existants avant d'investir. Une stratégie économique compréhensible, mais dangereuse quand elle concerne des infrastructures critiques.

Brice Brandenburg (IGNES) invoque l'absence d'étude d'impact, réclamant "plus de temps pour convaincre chaque client de changer un équipement qui fonctionne". Une rhétorique qui masque mal une réalité économique : pourquoi moderniser tant que l'ancien système rapporte encore ? Cette logique du "on verra plus tard" explique sans doute l'attentisme de nombreux acteurs qui découvrent aujourd'hui les contraintes qu'ils connaissaient depuis des années.

Technologies de remplacement : l'embarras du choix

Face à cette transition "forcée", comprendre : prévue et annoncée depuis des lustres... plusieurs technologies attendent patiemment leur heure de gloire. Le LTE-M (Long Term Evolution for Machines) mène la danse et se positionne comme le successeur naturel de la 2G.

Cette évolution de la 4G, spécialement conçue pour l'Internet des objets, offre des performances largement supérieures : débit jusqu'à 1 Mb/s et autonomie de batterie pouvant atteindre 10 ans grâce aux modes d'économie d'énergie intégrés. Fini les interventions fréquentes pour changer les batteries !

Le NB-IoT (Narrow Band-IoT) complète l'offre pour les applications ultra-sobres en bande passante. Ces technologies LPWAN (Low Power Wide Area) standardisées par le 3GPP garantissent une meilleure pénétration dans les bâtiments et une couverture étendue. Orange couvre déjà plus de 99% de la population française avec le LTE-M.

Pour les besoins plus exigeants, les réseaux 4G et 5G classiques restent disponibles, tandis que des solutions non-cellulaires comme LoRa viennent enrichir l'écosystème. Le choix de la technologie dépend des contraintes spécifiques de chaque usage : débit, autonomie, latence, coût. Un éventail de solutions matures et éprouvées.

La facture salée d'une stratégie à courte vue

Cette transition représente un coût qui fait mal au portefeuille et révèle peut-être les vraies motivations derrière cet attentisme prolongé. Le remplacement d'un équipement de téléassistance coûte environ 200 euros, soit 60 millions d'euros pour les seuls dispositifs 2G de ce secteur. Les alarmes d'ascenseurs nécessitent un investissement entre 800 et 1 500 euros par unité, avec des prix qui s'envolent mécaniquement sous la pression temporelle.

La logique économique devient plus claire : pourquoi investir dans de nouveaux équipements tant que les anciens fonctionnent et génèrent des revenus ? Cette approche comptable à court terme explique sans doute pourquoi tant de professionnels ont préféré "optimiser" la durée de vie de leurs installations plutôt que d'anticiper leur renouvellement.

Résultat prévisible : l'effet d'embouteillage redouté par Alban Charrier de l'Union sociale pour l'habitat. "Les copropriétés risquent toutes de changer les équipements en même temps", constate-t-il. Une concentration des demandes qui va mécaniquement créer une pénurie de matériel et de main-d'œuvre qualifiée, amplifiant l'explosion des prix.

Les entreprises qui ont privilégié la rentabilité immédiate découvrent aujourd'hui les conséquences de leur stratégie d'attente. Elles récoltent ce qu'elles ont semé : des coûts décuplés, des délais impossibles et une situation de crise qu'elles ont largement contribué à créer. La Commission supérieure du numérique et des postes a fini par réagir en avril 2025 avec 13 recommandations d'urgence... quatre ans après les premiers avertissements d'Orange.

La fermeture de la 2G révèle les travers d'une approche économique à courte vue : certains secteurs ont manifestement préféré maximiser la rentabilité de leurs équipements existants plutôt que d'anticiper une transition pourtant annoncée depuis 2022. Cette logique comptable se retourne aujourd'hui contre eux avec des coûts démultipliés et des délais impossibles.

Les opérateurs, eux, assument leur rôle de modernisation des infrastructures nationales face à des enjeux de sécurité, d'efficacité énergétique et de performance qui ne souffrent aucun compromis. Le message est clair : l'innovation ne s'arrête pas aux portes des habitudes établies, et l'avenir appartient à ceux qui l'anticipent plutôt qu'à ceux qui le subissent.