FibreCo MásOrange & Vodafone Espagne: quand la réalité rattrape l'ambition

FibreCo : MásOrange et Vodafone Espagne face à la réalité du marché. La valorisation à 7 milliards d'euros contestée par les investisseurs.

FibreCo MásOrange & Vodafone Espagne: quand la réalité rattrape l'ambition

La plus grande coentreprise fibre d'Europe se heurte aux réalités du marché. MásOrange et Vodafone Espagne découvrent que leurs ambitions de valorisation à 7 milliards d'euros pour FibreCo ne trouvent pas preneur chez les investisseurs institutionnels. Une leçon de pragmatisme qui illustre le recalibrage en cours sur le marché des infrastructures télécoms européennes.

Genèse d'un géant de la fibre

L'histoire commence en juillet 2024 avec la signature d'un accord préliminaire entre Vodafone Espagne et MásOrange pour mutualiser leurs réseaux fibrés. Cette union stratégique répond à une logique économique implacable : face aux coûts pharaoniques du déploiement FTTH et à l'intensification de la concurrence, la mutualisation devient un passage obligé.

FibreCo réunit désormais 12,2 millions de prises, faisant d'elle la plus grande infrastructure fibre européenne. Cette concentration d'actifs résulte de la recomposition accélérée du marché espagnol, marqué par la fusion Orange-MÁSMÓVIL et l'acquisition de Vodafone Espagne par Zegona Communications.

Le projet baptisé "Surf" témoigne d'une approche industrielle rationnelle : plutôt que de dupliquer des investissements colossaux, les opérateurs choisissent la coopétition. Les projections tablent sur un EBITDA annuel de 480 millions d'euros d'ici trois ans, une perspective financière qui justifie l'engouement initial.

Architecture financière sous tension

La structure capitalistique imaginée révèle une répartition équilibrée : MásOrange conserverait 50% des parts, un investisseur financier prendrait 40%, et Zegona/Vodafone Spain se contenterait de 10%. Cette configuration permet aux opérateurs de conserver le contrôle opérationnel tout en attirant des capitaux externes pour financer l'expansion.

Pas moins de dix investisseurs institutionnels ont répondu à l'appel, incluant des poids lourds comme KKR, GIC ou Digital Bridge. Cette affluence témoigne de l'attractivité persistante des infrastructures télécoms, même dans un contexte économique plus contraint.

Cependant, l'écart entre attentes et réalité se creuse. La plupart des offres non-contraignantes soumises par les investisseurs sont inférieures à la valorisation minimale de 7 milliards d'euros recherchée. Cette divergence révèle un décalage fondamental entre l'auto-évaluation des opérateurs et la perception du marché.

Réajustement stratégique en cours

Face à cette déception, MásOrange et Vodafone Spain explorent plusieurs pistes d'adaptation. MásOrange a d'ailleurs sécurisé un financement de 11 milliards d'euros en mai 2025, destiné notamment à cette coentreprise fibre. Cette guerre financière lui confère une capacité de négociation renforcée et la liberté de temporiser si nécessaire.

Les opérateurs peuvent désormais ajuster leurs conditions : réduction du pourcentage de participation proposé, étalement de la transaction dans le temps, ou segmentation géographique de la valorisation. Cette flexibilité leur permet de naviguer entre leurs impératifs financiers et les contraintes du marché.

L'option d'une valorisation différenciée selon les zones géographiques présente un intérêt particulier. Les déploiements urbains denses, véritables mines d'or du très haut débit, pourraient justifier des multiples élevés, tandis que les zones rurales seraient évaluées selon d'autres critères.

Leçons pour l'écosystème télécom

Cette expérience espagnole offre plusieurs enseignements pratiques pour les acteurs du secteur. Premier constat : les valorisations doivent désormais intégrer les nouvelles réalités macroéconomiques, notamment la hausse des taux d'intérêt qui renchérit le coût du capital.

Deuxième observation : l'expertise des investisseurs institutionnels dans l'évaluation d'infrastructures les conduit à appliquer des grilles de lecture plus conservatrices. Leurs modèles financiers intègrent systématiquement les risques réglementaires et concurrentiels que les opérateurs ont parfois tendance à minimiser.

Pour les décideurs télécoms, la recommandation est claire : privilégier une approche modulaire des cessions d'actifs, permettant d'ajuster la stratégie selon les retours du marché. La rigidité dans les conditions initiales peut conduire à manquer des opportunités ou à prolonger inutilement les négociations.

L'aventure FibreCo illustre parfaitement le recalibrage en cours sur le marché européen des infrastructures télécoms, où les valorisations ambitieuses doivent désormais composer avec la prudence des investisseurs. Cette réalité économique contraindra les opérateurs à plus de pragmatisme dans leurs stratégies de monétisation d'actifs, privilégiant l'adaptabilité aux conditions de marché plutôt que la recherche de valorisations maximales.