Euro Numérique : comment Capgemini et l'IA de Feedzai doivent concilier fraude et vie privée

La BCE choisit Capgemini & l'IA de Feedzai pour l'euro numérique. Analyse des enjeux de ce projet alliant détection de fraude et respect de la vie privée.

Euro Numérique : comment Capgemini et l'IA de Feedzai doivent concilier fraude et vie privée

La Banque Centrale Européenne s'est engagée dans une course technologique complexe : créer un euro numérique qui soit à la fois sûr et respectueux de la vie privée. Pour déjouer la fraude sans pour autant construire un outil de surveillance de masse, elle a misé sur l'expertise de la FinTech portugaise Feedzai, épaulée par le géant Capgemini. Leur mission : prototyper un mécanisme de détection de fraude pour les paiements en ligne, un des cinq piliers de la future monnaie.

Un équilibre précaire entre sécurité et anonymat

Le défi de la BCE est colossal. Il s'agit de reproduire la qualité la plus essentielle de l'argent liquide, l'anonymat, dans un écosystème numérique par nature traçable. Pour résoudre cette quadrature du cercle, l'institution monétaire explore une architecture où les paiements en ligne seraient "pseudonymes". Contrairement à un anonymat complet, le pseudonymat ne révèle pas l'identité directe des utilisateurs mais s'appuie sur des identifiants uniques. C'est précisément ici que la technologie de Feedzai entre en jeu. La société, spécialisée dans l'IA pour la gestion des risques financiers, doit prouver qu'il est possible de détecter des transactions suspectes en analysant uniquement ces données pseudonymisées, sans jamais accéder aux informations personnelles sensibles des citoyens européens.

"L'euro numérique ne peut réussir que si les citoyens européens lui font confiance." - Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE.

Cette confiance repose sur une promesse technique. Selon les documents publiés par la BCE, le système anti-fraude envisagé ne donnera à la banque centrale aucune visibilité sur les données personnelles. Seuls les intermédiaires de paiement (les banques commerciales) y auraient accès, comme c'est le cas aujourd'hui, et seraient tenus de les signaler aux autorités uniquement en cas de suspicion d'activités illicites, conformément aux réglementations existantes sur la lutte contre le blanchiment d'argent (LCB-FT). L'IA de Feedzai agirait donc comme un filtre avancé, en amont, pour identifier les schémas de fraude sans avoir besoin de savoir qui est derrière la transaction.

La technologie à l'épreuve des critiques

Si le projet est techniquement ambitieux, il est loin de faire l'unanimité. Des organisations de défense des libertés numériques et même le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) ont exprimé des réserves. La principale crainte est que, malgré les garanties, l'architecture centralisée d'un euro numérique crée une infrastructure de surveillance potentielle, susceptible d'être détournée à l'avenir. Le CEPD a notamment insisté pour que le projet garantisse un "très haut niveau d'anonymat" pour les transactions, en particulier pour les paiements hors ligne, qui doivent se rapprocher le plus possible des paiements en espèces.

La sélection de Feedzai et Capgemini s'inscrit dans un processus plus large où la BCE a également mandaté Worldline, Nexi et d'autres pour travailler sur les paiements en point de vente et les transferts de personne à personne. L'ensemble de ces contrats s'inscrit dans une enveloppe budgétaire-cadre pouvant atteindre 1,1 milliard d'euros, destinée à financer toute la phase de préparation qui doit s'achever fin 2025. Cette phase ne préjuge en rien d'une décision finale de lancement, qui restera éminemment politique.

L'avenir de l'euro se joue maintenant

La BCE marche sur une corde raide. D'un côté, elle doit répondre à la numérisation de l'économie et contrer la montée des cryptomonnaies privées et des monnaies numériques d'autres banques centrales. De l'autre, elle doit convaincre 450 millions de citoyens qu'elle ne construit pas un "Big Brother" monétaire. Le prototype de Feedzai est une pièce maîtresse de cet argumentaire. S'il démontre qu'une IA peut traquer les fraudeurs sans espionner les honnêtes gens, l'euro numérique aura franchi un obstacle majeur. Dans le cas contraire, le projet pourrait bien rester une expérience de laboratoire, un rêve technocratique dépassé par les craintes qu'il suscite. La décision finale, attendue après l'adoption du cadre législatif par les institutions européennes, déterminera si notre portefeuille de demain sera toujours synonyme de liberté.