Digi en Belgique : la révolution tarifaire à bout de soufle
Digi secoue le marché télécom belge avec ses prix cassés, mais fait face à des défis opérationnels. 53 000 clients et une concurrence réveillée en 6 mois.

Le quatrième opérateur télécom belge traverse une phase d'ajustement stratégique. Lancé en décembre 2024 avec des tarifs défiant toute concurrence, Digi doit aujourd'hui "redimensionner" ses opérations. Malgré ces turbulences, l'entreprise d'origine roumaine compte déjà 53 000 clients en Belgique et continue de bouleverser un marché longtemps dominé par trois acteurs historiques.
L'entrée fracassante d'un quatrième opérateur
L'arrivée de Digi sur le marché belge concrétise une ambition politique formulée dès 2017 par le gouvernement de Charles Michel. L'objectif était clair : stimuler la concurrence dans un secteur caractérisé par des prix parmi les plus élevés d'Europe. Cette volonté s'est matérialisée lors des enchères des fréquences 5G en 2022, permettant à Digi d'obtenir le statut convoité de quatrième opérateur national.
Après un report de près de six mois sur son calendrier initial, Digi a finalement lancé ses services le 11 décembre 2024. L'entreprise opère sous forme de coentreprise entre Citymesh (filiale de Cegeka) qui détient 51% des parts et cible les professionnels, et RCS & RDS, filiale du groupe roumain DIGI Communications, orientée vers les particuliers. Ce n'était pas la première expansion européenne pour Digi, déjà établi en Roumanie, Espagne, Italie et Portugal, avec près de 19 millions de clients à travers le continent.
Une stratégie tarifaire qui a secoué tout le marché
Digi avait annoncé des "prix jamais vus" sur le marché belge — promesse tenue avec le lancement d'un forfait mobile à 5€ mensuel incluant appels et SMS illimités ainsi que 15 Go de données. Pour l'internet fixe, l'opérateur a introduit son service "Digi Fiber Essentials" dès 10€ mensuels pour une connexion à 500 Mbps, avec des offres premium allant jusqu'à 10 Gbps pour 20€ par mois.
La réaction du marché a été instantanée. Quelques heures après l'annonce de Digi, Orange a aligné le prix de l'abonnement d'entrée de gamme de sa filiale Hey! à 5€, tandis que d'autres opérateurs comme Mobile Vikings et Scarlet ont considérablement augmenté leurs volumes de données sans modifier leurs tarifs. Le régulateur belge des télécommunications (IBPT) a confirmé que cette nouvelle concurrence avait entraîné une baisse notable des prix, transformant la Belgique d'un des marchés les plus chers à l'un des plus compétitifs parmi ses voisins européens.
Des ajustements opérationnels nécessaires
Le succès commercial initial de Digi s'est rapidement heurté à des défis opérationnels. Dès février 2025, des rumeurs de crise de liquidité ont commencé à circuler suite au licenciement immédiat de plusieurs membres de la direction belge. Serghei Bulgac, PDG de DIGI Communications, a démenti ces allégations tout en reconnaissant que "certaines choses auraient pu être mieux faites".
En mai 2025, l'entreprise a été contrainte de "recalibrer" ses activités après seulement quelques mois d'exploitation. Ces ajustements interviennent alors que des clients signalent des problèmes de facturation et de service client, révélateurs des défis logistiques d'un lancement à grande échelle.
La complexité du modèle hybride adopté par Digi en Belgique pourrait expliquer ces difficultés. L'opérateur utilise actuellement le réseau 4G de Proximus via un accord de roaming national de cinq ans, tout en déployant progressivement son propre réseau 5G — une double infrastructure qui exige des investissements considérables et une coordination technique sophistiquée.
Un déploiement d'infrastructure ambitieux mais progressif
Les objectifs de Digi en matière d'infrastructure restent ambitieux, avec une couverture 5G ciblant 30% de la population belge d'ici fin 2025. L'opérateur prévoit d'établir un réseau de 4 500 sites d'ici la fin de la décennie, une expansion facilitée notamment par le transfert d'environ 400 sites mobiles de Proximus.
Côté fibre optique, Digi a débuté le déploiement dans le quartier de Cureghem à Anderlecht et planifie une expansion progressive dans Bruxelles, puis vers d'autres villes. L'ambition affichée — connecter environ 2 millions de foyers belges dans les cinq prochaines années — nécessitera une exécution technique impeccable et des investissements substantiels. On pourrait dire que Digi a promis une Ferrari à prix de Dacia, mais que la mécanique demande encore quelques réglages.
Un impact durable malgré les turbulences
Les défis rencontrés par Digi n'effacent pas l'impact positif pour les consommateurs belges. L'association Test-Achats, qui militait depuis des années pour l'arrivée d'un quatrième acteur, confirme que "trop longtemps, les consommateurs belges ont payé trop cher pour leurs services télécoms". Cette nouvelle concurrence a déjà modifié les comportements, avec une baisse de fidélité envers les opérateurs traditionnels et une tendance croissante à privilégier des offres plus flexibles et économiques.
La diminution des prix observée par l'IBPT atteste que l'arrivée de Digi a atteint l'objectif fixé par les autorités belges : rendre le marché des télécommunications plus compétitif au bénéfice des consommateurs, même si l'équation économique reste complexe pour le nouvel entrant.
Le parcours de Digi en Belgique illustre les défis inhérents à l'entrée sur un marché télécom établi. Si la disruption tarifaire est réelle, la viabilité à long terme dépendra de la capacité de l'opérateur à résoudre ses problèmes opérationnels tout en poursuivant le déploiement de son infrastructure. Pour les consommateurs belges, l'essentiel est préservé : la concurrence accrue a déjà fait baisser les prix et cette tendance devrait se maintenir.
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