Désendettement de Cellnex : les actifs français et suisses en vente

Cellnex vend ses actifs Français et Suisses : comment le géant espagnol des tours télécoms compte se défaire de 17 milliards € de dette.

Désendettement de Cellnex : les actifs français et suisses en vente

L'opérateur espagnol d'infrastructures télécoms Cellnex met en vente ses centres de données français et ses antennes suisses. Ce mouvement accélère sa stratégie de désendettement entamée fin 2022, marquant un tournant radical pour celui qui s'était imposé comme le champion européen des tours télécoms par une politique d'acquisitions agressive.

De l'expansion frénétique au réalisme financier

Créée en 2015, Cellnex s'est rapidement hissée au rang de leader européen des infrastructures de télécommunications. Son expansion éclair l'a conduite à gérer près de 138 000 sites répartis dans une dizaine de pays européens. Cette croissance à marche forcée s'est toutefois traduite par un endettement considérable, atteignant 17,29 milliards d'euros fin 2023.

La situation financière du groupe espagnol reste préoccupante malgré un chiffre d'affaires en hausse de 16% en 2023 (4,05 milliards d'euros). Cellnex n'a plus dégagé de bénéfices depuis 2017 et a enregistré une perte nette de 297 millions d'euros l'an dernier. Face à cette réalité comptable, Marco Patuano, directeur général depuis juin 2023, a imposé un virage stratégique drastique.

La France et la Suisse, deux cessions majeures

En France, premier marché de Cellnex représentant 21% de son chiffre d'affaires, l'entreprise explore la vente de sa division de centres de données NexLoop. Cette entité gère plus de 100 centres de données Edge répartis sur l'ensemble du territoire dans des villes comme Paris, Lyon ou Marseille. Selon les sources financières, cette transaction pourrait valoriser l'activité à "plusieurs centaines de millions d'euros".

Parallèlement, Cellnex a lancé la vente de sa participation majoritaire (72%) dans son activité suisse, une opération potentiellement valorisée à 2,2 milliards de dollars. JPMorgan Chase et Société Générale pilotent cette transaction, avec un premier tour d'offres attendu début mai. Parmi les acquéreurs potentiels figurent DigitalBridge Group, Phoenix Tower International, EQT AB et SBA Communications.

Ces opérations s'inscrivent dans un plan plus large de cessions stratégiques:

  • Actifs irlandais vendus à Phoenix Tower International pour 971 millions d'euros (février 2025)
  • Division autrichienne cédée pour 803 millions d'euros à un consortium incluant Vauban Infrastructure Partners et EDF Invest
  • Participation de 49% dans les filiales danoise et suédoise vendue à Stonepeak pour 730 millions d'euros (2023)
  • Plus de 2 300 sites en France cédés à Phoenix Tower International et Bouygues Telecom pour 631 millions d'euros (septembre 2023)

Une présence structurante sur le marché français

En France, Cellnex gère environ 30 000 sites servant trois des principaux opérateurs mobiles (Bouygues Telecom, Free et SFR). Cette position dominante s'est construite notamment grâce à l'acquisition de Hivory en 2021, qui avait d'ailleurs nécessité des cessions imposées par l'Autorité de la concurrence française.

En Suisse, où Cellnex est présent depuis 2017 suite à l'acquisition de Swiss Towers AG pour environ 430 millions d'euros, l'entreprise exploite plus de 6 000 sites d'antennes utilisés par les opérateurs Salt et Sunrise. Le modèle économique repose sur la location de ces infrastructures aux opérateurs qui les utilisaient auparavant.

Les défis structurels du marché des tours télécoms

Cette vague de cessions illustre la transformation du secteur des infrastructures de télécommunications. Après une phase de croissance rapide alimentée par l'externalisation massive des tours par les opérateurs télécoms traditionnels, le marché entre dans une période de consolidation et de rationalisation.

Le modèle économique des "towercos" repose sur la mutualisation des infrastructures entre plusieurs opérateurs pour optimiser les coûts et générer des économies d'échelle. Mais cette approche a montré ses limites face aux enjeux de souveraineté numérique et aux besoins spécifiques de certains marchés.

Pour Cellnex, l'augmentation des taux d'intérêt a également complexifié la gestion d'une dette colossale, rendant nécessaire cette cure d'amaigrissement stratégique. "Il n'est pas obligatoire de vendre. À quel prix sont-ils prêts à acheter ? Si le prix est supérieur à ce que je peux réaliser moi-même, d'accord", a d'ailleurs précisé Marco Patuano lors d'un récent entretien.

Une stratégie qui commence à porter ses fruits

Cette réorientation stratégique semble produire ses premiers effets positifs. En avril 2024, le directeur général affirmait que Cellnex pouvait maintenir sa note de crédit en catégorie investissement et poursuivre le versement de dividendes sans nécessairement procéder à de nouvelles ventes d'actifs.

Le défi pour l'entreprise est désormais de redresser son cours boursier, qui a considérablement chuté depuis son sommet de plus de 60 euros atteint en 2021. "Il faut un peu de temps pour que le marché reconnaisse que le travail accompli est solide et durable", a expliqué Patuano, tout en admettant qu'il est "difficile de demander de la patience aux actionnaires".

L'entreprise espagnole navigue donc dans un équilibre délicat entre désendettement nécessaire et préservation de ses actifs stratégiques. Si Cellnex parvient à assainir sa situation financière tout en conservant une présence significative sur ses marchés clés, elle pourrait renouer avec la rentabilité et conforter sa position d'acteur incontournable des infrastructures numériques européennes.