Cybersécurité : le pari souverain de Bitdefender et OVHcloud
Analyse de l'alliance de cybersécurité souveraine entre Bitdefender et OVHcloud. Est-ce la réponse européenne efficace au CLOUD Act et à la directive NIS2 ?

Face à la méfiance croissante envers les lois extraterritoriales américaines, l'alliance entre le roumain Bitdefender et le français OVHcloud pour une plateforme de sécurité 100% européenne semblait prometteuse en 2024. Un an et demi plus tard, cette offre est devenue une réalité commerciale qui teste la profondeur de la quête de souveraineté numérique du Vieux Continent.
Une forteresse juridique et technique contre le Cloud Act
Le cœur de l'offre commune est simple : proposer la solution de protection des terminaux (EDR) GravityZone de Bitdefender sur une infrastructure cloud non seulement basée en Europe, mais exploitée par une entreprise européenne. Cette architecture est conçue pour créer une rupture technique et légale vis-à-vis du Cloud Act américain, qui peut contraindre les fournisseurs américains à livrer des données, même si celles-ci sont stockées hors des États-Unis. En s'appuyant sur les datacenters d'OVHcloud en France, dont certains bénéficient de la qualification SecNumCloud délivrée par l'ANSSI, les deux partenaires proposent une garantie forte.
"L'immunité technique aux lois non européennes est un argument central. Les données sont traitées sur un cloud qui, par sa nature, n'est pas soumis à la juridiction américaine."
Cette promesse va au-delà du simple hébergement local. Elle assure que toute la chaîne de traitement, du logiciel (Bitdefender) à l'infrastructure (OVHcloud), échappe à l'influence directe d'entités non-européennes. C'est un argument de poids pour les organisations de service public, les opérateurs d'importance vitale (OIV) et les entreprises des secteurs stratégiques.
La directive NIS2 comme accélérateur du marché
Si le RGPD a posé les bases de la protection des données personnelles, la directive NIS2, dont la transposition dans les droits nationaux est désormais effective, a considérablement élargi le périmètre des entités jugées "essentielles" ou "importantes". Ces milliers d'organisations à travers l'Europe sont désormais tenues de sécuriser leur chaîne d'approvisionnement, ce qui inclut leurs fournisseurs de services de cybersécurité. Cette pression réglementaire a transformé la souveraineté d'un concept abstrait en une exigence commerciale tangible. L'offre Bitdefender-OVHcloud arrive donc à un moment où la démonstration d'une chaîne de confiance purement européenne devient un avantage concurrentiel décisif.
Le contre-modèle des géants américains
Face à cette offensive, les leaders du marché, majoritairement américains, ne sont pas restés inactifs. Des acteurs comme CrowdStrike ou SentinelOne mettent en avant leur architecture geo-fencing, hébergeant les données de leurs clients européens dans des régions cloud d'Amazon Web Services (AWS), Google Cloud ou Microsoft Azure situées à Francfort, Dublin ou Paris. Leur argumentaire repose sur des garanties contractuelles et des mécanismes de chiffrement avancés.
Pourtant, la question de fond demeure : le stockage de données sur un datacenter européen opéré par une maison-mère américaine offre-t-il le même niveau de protection juridique qu'une solution entièrement européenne ? C'est le débat qui divise aujourd'hui le marché. Pour les partisans d'une souveraineté stricte, la réponse est non. Comme le souligne un rapport du cabinet d'avocats Covington, si les cas d'application du Cloud Act en Europe restent rares, le risque juridique, lui, est bien réel et constitue une épée de Damoclès.
De la niche à la tendance de fond ?
Lancée officiellement cette année, la plateforme GravityZone sur OVHcloud vise en priorité les marchés français, allemand et du Benelux. Si le label SecNumCloud est un atout majeur en France, sa reconnaissance est plus limitée ailleurs. Le succès de cette alliance dépendra de sa capacité à convaincre au-delà des frontières françaises, en attendant une éventuelle harmonisation via le futur schéma de certification européen EUCS.
Ce partenariat est plus qu'un simple accord commercial ; il est le symbole d'une tendance à la régionalisation de la tech. Il démontre que pour certains clients critiques, l'origine du fournisseur et de son infrastructure est devenue un critère de sécurité aussi important que la performance technique de sa solution.
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