Bouygues Telecom renforce son rôle dans le réseau d'urgence français de nouvelle génération

Bouygues Telecom remporte un contrat clé pour le Réseau Radio du Futur français. Le RRF, réseau 4G/5G d'urgence, remplacera ANTARES d'ici 2027 pour 400 000 utilisateurs.

Bouygues Telecom renforce son rôle dans le réseau d'urgence français de nouvelle génération
Photo by Oscar Brouchot / Unsplash

La France accélère le déploiement de son Réseau Radio du Futur. Bouygues Telecom vient de remporter un contrat stratégique pour assurer la résilience des communications critiques lors des crises majeures, consolidant ainsi sa position aux côtés d'Orange dans cette infrastructure vitale qui remplacera ANTARES d'ici 2027.

Un nouveau contrat pour garantir la couverture lors des événements critiques

En octobre 2025, l'Agence des communications mobiles opérationnelles de sécurité et de secours (ACMOSS) a désigné Bouygues Telecom comme partenaire clé pour les Solutions de Réponse Rapide (SRR) du Réseau Radio du Futur. Ce contrat s'ajoute à celui déjà obtenu en septembre 2022, lorsque l'opérateur avait été sélectionné aux côtés d'Orange pour fournir l'infrastructure réseau mobile 4G et 5G.

Les Solutions de Réponse Rapide constituent un dispositif de résilience critique. Bouygues Telecom déploiera des Stations de Base Déployables (SBD) capables d'assurer une couverture temporaire sur plusieurs kilomètres en cas de saturation ou de panne du réseau. Ces infrastructures mobiles garantiront le maintien des communications opérationnelles lors d'événements critiques, qu'ils soient prévisibles (grands événements sportifs, sommets diplomatiques) ou imprévisibles (catastrophes naturelles, accidents industriels majeurs).

Après la mise en service opérationnelle cette semaine de l'accès priorisé au réseau 4G/5G de Bouygues Telecom, le lancement du marché des SRR marque une étape significative dans l'engagement de l'opérateur.

Le RRF : un projet à 900 millions d'euros pour remplacer ANTARES

Le Réseau Radio du Futur représente un investissement de 900 millions d'euros entre 2020 et 2030, financé par l'État français. Ce système de communication très haut débit doit remplacer progressivement le réseau ANTARES, basé sur la technologie Tetrapol développée dans les années 1990 et qui sera frappé d'obsolescence programmée en 2030.

ANTARES, déployé à partir de 2004, a marqué une avancée majeure pour l'interopérabilité des services d'urgence français. Cependant, cette technologie 2G ne permet plus de répondre aux besoins actuels : débit limité, impossibilité de transmettre des flux vidéo en temps réel, absence de partage de données lourdes comme les électrocardiogrammes. Face à l'évolution des menaces (terrorisme, crises climatiques, pandémies), un outil moderne s'imposait.

Le RRF s'appuie sur les technologies 4G et 5G et utilise la norme internationale MCPTT (Mission Critical Push-to-Talk) définie par le consortium 3GPP. Cette norme garantit des communications prioritaires avec chiffrement de bout en bout, priorisation automatique en cas de congestion du réseau, et fonctionnalités avancées comme les appels vidéo, la géolocalisation en temps réel et le partage de données multimédias.

Une architecture complexe orchestrée par Airbus et Capgemini

L'architecture du RRF repose sur trois piliers distincts. En octobre 2022, le ministère de l'Intérieur a confié au consortium Airbus-Capgemini le rôle d'intégrateur du "Lot 2" pour un montant de 540 millions d'euros. Airbus fournit la plateforme de communication critique MCX (Mission Critical Communication), avec le soutien de partenaires comme Samsung, Streamwide, Econocom et Prescom. Capgemini assure l'intégration des différentes briques technologiques, incluant l'infrastructure virtualisée de Dell Technologies et les services de télécommunication 5G d'Ericsson.

Orange et Bouygues Telecom, quant à eux, mettent à disposition leurs réseaux mobiles commerciaux 4G et 5G, mais avec des spécifications renforcées. Le RRF dispose d'un cœur de réseau dédié et séparé du réseau commercial, garantissant sécurité et souveraineté. En cas d'indisponibilité des réseaux principaux, le système peut basculer en itinérance sur les réseaux SFR et Free Mobile.

L'ACMOSS, établissement public créé par décret le 30 mars 2023, pilote le déploiement et l'exploitation du réseau. Cet organisme, placé sous la tutelle du ministère de l'Intérieur, assure la gouvernance d'un projet destiné à équiper jusqu'à 400 000 utilisateurs : police nationale, gendarmerie, sapeurs-pompiers, SAMU, douanes, administration pénitentiaire et polices municipales.

Un déploiement progressif d'ici 2027

Le calendrier de déploiement s'étale sur trois vagues. À partir d'avril 2025, 23 départements seront connectés, suivis de 38 autres en janvier 2026, puis des 35 derniers en janvier 2027. La Loire et les Bouches-du-Rhône servent de départements préfigurateurs pour la phase de vérification de service régulier, démarrée fin février 2025.

Des phases de test ont déjà été menées avec succès. En novembre 2024, une démonstration opérationnelle dans l'Oise a validé l'itinérance nationale entre les réseaux Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free. Le SDIS de l'Oise et la police municipale de Saint-Just-en-Chaussée testent actuellement des terminaux en conditions réelles, y compris en zones montagneuses et dans des environnements difficiles (tunnels, sous-sols de bâtiments).

L'ACMOSS vise au moins 300 000 abonnés mobiles d'ici fin 2027, avec un objectif de 20 840 sites (mâts 4G) au total : 19 795 sites existants du réseau EE mis à jour, 753 nouveaux mâts construits par les opérateurs et 292 mâts supplémentaires en zones rurales pour garantir une couverture optimale.

Les leçons du fiasco britannique

Le projet français s'inscrit dans un mouvement européen de modernisation des réseaux d'urgence, mais les exemples étrangers appellent à la prudence. Au Royaume-Uni, l'Emergency Services Network (ESN) illustre les écueils à éviter. Lancé en 2015 avec une date de mise en service prévue pour 2019, le projet britannique a accumulé les retards et dépassements budgétaires.

Motorola Solutions, initialement désigné comme fournisseur de services utilisateurs, s'est retiré du projet en 2022 suite à un conflit d'intérêts : l'entreprise possédait également Airwave, le réseau TETRA existant qu'elle devait remplacer. Le régulateur britannique CMA a estimé que Motorola réalisait des profits excessifs en facturant la prolongation d'Airwave tout en retardant l'ESN. IBM a finalement remporté le contrat en janvier 2025 pour 1,36 milliard de livres, avec une mise en service désormais prévue au plus tôt en 2029 soit dix ans de retard.

La France a tiré les enseignements de ce cas d'école. En séparant clairement les rôles (intégrateur système, fournisseurs réseau, opérateur du service) et en créant l'ACMOSS comme entité dédiée et indépendante, le modèle français vise à éviter les conflits d'intérêts et les dérives budgétaires.

Souveraineté numérique et cybersécurité au cœur du projet

Au-delà des aspects techniques, le RRF soulève des enjeux stratégiques majeurs. L'unité Cyber Programmes d'Airbus Defence and Space assure la sécurisation de l'architecture globale via le déploiement de concentrateurs VPN, pare-feux et systèmes de détection d'intrusions conformes aux exigences du secteur critique. Le cœur de réseau dédié, séparé des infrastructures commerciales, garantit l'étanchéité des communications sensibles.

La question de la souveraineté des données est centrale. Contrairement au modèle britannique qui s'appuie sur un unique opérateur commercial (BT/EE), la France a fait le choix d'une redondance à deux opérateurs (Orange et Bouygues Telecom), tous deux français et partiellement contrôlés par l'État. Orange reste majoritairement détenu par l'État français, tandis que Bouygues Telecom appartient au groupe Bouygues, fleuron industriel national.

Ce choix multi-opérateurs offre une résilience accrue. En cas de défaillance majeure sur un réseau, le basculement automatique vers le second opérateur maintient la continuité de service. Les Stations de Base Déployables de Bouygues Telecom ajoutent une troisième couche de protection, permettant de recréer localement une couverture en cas de destruction d'infrastructures fixes.