ASML et ZEISS: L'Europe au cœur de la révolution des puces

L'Europe détient la clé de l'avenir technologique mondial grâce à deux entreprises maîtrisant la lithographie EUV, technologie indispensable aux puces électroniques avancées.

ASML et ZEISS: L'Europe au cœur de la révolution des puces

Dans un hangar qui prenait l'eau près d'Eindhoven, une start-up néerlandaise posait en 1984 les premiers jalons d'une technologie qui allait révolutionner l'industrie mondiale. Aujourd'hui, cette même entreprise, ASML, associée à l'allemand ZEISS, contrôle l'avenir technologique mondial. Sans leurs machines, la production des puces électroniques les plus avancées s'arrêterait net, paralysant smartphones, ordinateurs et infrastructures critiques.

Des racines européennes profondes

L'histoire débute modestement avec ASML, née d'une collaboration entre Philips et Advanced Semiconductor Materials International. Dans le même temps, à quelques centaines de kilomètres, ZEISS poursuivait un héritage optique entamé en 1846. Dès 1986, les deux entreprises nouent un partenariat stratégique qui perdure aujourd'hui.

L'évolution s'accélère dans les années 2000. ASML introduit sa technologie TWINSCAN et acquiert Silicon Valley Group, tandis que les concurrents japonais Canon et Nikon perdent progressivement du terrain. Le tournant décisif survient en 2013 avec l'acquisition de Cymer, ouvrant la voie à la technologie qui allait changer la donne: la lithographie EUV (Extreme Ultraviolet).

La magie de l'EUV: quand l'Europe dépasse les lois de la physique

Imaginez graver des structures 5000 fois plus fines qu'un cheveu humain. La lithographie EUV y parvient grâce à une lumière de 13,5 nanomètres, presque dans le domaine des rayons X. Le processus tient du tour de force technologique:

50 000 gouttelettes d'étain sont projetées chaque seconde dans une chambre à vide. Un laser CO2 de 30 kilowatts les frappe pour créer un plasma chauffé à 220 000°C—quarante fois plus chaud que la surface du soleil. Ce plasma génère la précieuse lumière EUV.

Mais cette lumière n'est rien sans les miroirs optiques conçus par ZEISS. Leur précision défie l'entendement: si l'un de ces miroirs était agrandi à la taille de l'Allemagne, sa plus grande irrégularité ne dépasserait pas 0,1 millimètre. Ces miroirs multicouches alternent silicium et molybdène sur quelques couches atomiques, atteignant 70% de réflectivité là où la physique conventionnelle l'aurait cru impossible.

Une planète dépendante d'un duopole européen

Cette prouesse technologique européenne structure désormais l'industrie mondiale des semiconducteurs. Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), avec ses 90 milliards de dollars de revenus en 2024, ne peut produire ses puces de 3 nanomètres sans les machines ASML. Samsung, Intel et même le champion chinois SMIC dépendent tous de cette technologie pour leurs avancées.

Cette chaîne de dépendance s'étend jusqu'à nos poches: smartphones, systèmes d'intelligence artificielle, infrastructures 5G et véhicules autonomes reposent tous sur des puces gravées exclusivement avec la technologie européenne.

L'Europe dispose d'autres atouts dans ce secteur stratégique. STMicroelectronics, entreprise franco-italienne présente dans 16 pays avec 50 000 employés, génère 18 milliards de dollars de revenus dans les semiconducteurs spécialisés pour l'automobile et l'Internet des objets.

Un levier géopolitique sans précédent

Le monopole d'ASML sur l'EUV transforme cette entreprise néerlandaise en acteur géopolitique majeur. Les États-Unis ont déjà exploité cette situation en imposant des restrictions à l'exportation vers la Chine. L'Europe détient ainsi une technologie critique convoitée par toutes les puissances.

La transition vers le High-NA EUV, prochaine génération encore plus avancée, renforce cette position. ASML a livré son premier système High-NA en décembre 2023, ouvrant la voie aux nœuds 2nm dès 2025 et garantissant le leadership européen pour la décennie à venir.

L'investissement européen porte ses fruits: ASML emploie plus de 42 000 personnes dans 60 sites mondiaux avec 30 milliards de dollars de revenus. ZEISS SMT maintient son leadership optique avec 2,5 milliards de revenus et 15 000 employés. Ensemble, ces entreprises représentent 107 000 emplois européens hautement qualifiés.

Une dépendance mondiale, un atout européen

Sans ASML et ZEISS, l'industrie mondiale des semiconducteurs s'arrêterait. Ces entreprises contrôlent les technologies indispensables aux puces les plus avancées, créant une dépendance planétaire sans précédent. Cette position unique confère à l'Europe un avantage considérable et démontre l'importance stratégique de l'innovation technologique européenne dans l'économie numérique mondiale.