ARCEP 2.0 : Pourquoi la France doit consolider son marché télécom et mettre les GAFAM sous régulation
L'ARCEP 2.0 : pourquoi la France doit fusionner ses opérateurs et mettre au pas les géants du web pour sauver son avenir numérique.

Trop d'opérateurs, pas assez de régulation des géants du web... et si on inversait la vapeur ?
Dans l'arène des télécoms français, le match est déséquilibré. D'un côté, quatre opérateurs se livrent une bataille acharnée pour gagner quelques euros sur vos factures mensuelles. De l'autre, les géants du numérique engrangent des milliards en utilisant nos réseaux sans contribuer à leur financement. Et au milieu, l'ARCEP, notre "gendarme des télécoms", peine à adapter son arsenal réglementaire face à cette nouvelle donne. Plongée dans un univers où il est urgent de revoir les règles du jeu.
Le paradoxe français : un marché ultra-concurrentiel... qui nous affaiblit
La France fait figure d'exception européenne avec ses quatre opérateurs qui se disputent un marché relativement limité. Cette configuration, née de l'arrivée fracassante de Free en 2012, a certes fait fondre nos factures, mais à quel prix ?
Le revenu moyen par utilisateur en Europe (15€) est désormais trois fois inférieur à celui des États-Unis. Résultat ? Des opérateurs aux marges réduites qui peinent à financer les infrastructures du futur. C'est comme vouloir construire des autoroutes avec le budget d'un département !
Pendant ce temps, la Chine et les États-Unis affichent un paysage bien différent : trois opérateurs géants pour 380 millions de clients américains, et trois mastodontes qui captent 95% des 1,6 milliard d'abonnés chinois. Ces colosses disposent d'une puissance de feu financière sans commune mesure avec nos champions nationaux.
Consolidation : le remède que l'Europe commence à prescrire
Le rapport Draghi, publié en 2024, ne mâche pas ses mots : l'Europe doit favoriser la consolidation dans le secteur des télécommunications. Son diagnostic est sans appel : "Faciliter la consolidation dans le secteur des télécommunications est nécessaire pour garantir des taux d'investissement plus élevés dans la connectivité."
La fragmentation actuelle du marché européen – 34 opérateurs principaux auxquels s'ajoutent 351 opérateurs virtuels – constitue un handicap majeur face à la concurrence internationale. Comment espérer développer la 6G ou des services innovants quand les ressources sont éparpillées ?
L'ARCEP doit désormais accompagner cette transition nécessaire, plutôt que de s'accrocher au dogme des "quatre opérateurs à tout prix". Le temps est venu de passer d'une vision purement nationale à une approche européenne qui permette l'émergence de véritables champions continentaux.
Le vrai point noir que l'ARCEP doit cibler
Si vous avez déjà pesté contre votre connexion fibre qui tombe en panne, vous n'êtes pas seul ! L'observatoire de qualité des réseaux FttH publié par l'ARCEP révèle des disparités criantes. Certains réseaux affichent des taux de panne jusqu'à trois fois supérieurs à la moyenne nationale.
Les malfaçons pullulent : boîtiers de raccordement inadaptés, étiquettes manquantes ou erronées sur les prises optiques, déchets abandonnés dans les armoires de rue... Le Far West de la fibre, en somme !
L'ARCEP a trop longtemps fermé les yeux sur ces problèmes, privilégiant le nombre de prises déployées plutôt que la qualité des installations. Il est temps de mettre en place un système de certification des installateurs et des sanctions réellement dissuasives contre les opérateurs négligents.
L'éléphant dans la pièce : les GAFAM qui se jouent de la régulation
Imaginez un monde où les camions de livraison utiliseraient gratuitement les autoroutes, laissant aux automobilistes la charge de leur entretien. Absurde ? C'est pourtant ce qui se passe aujourd'hui avec les GAFAM et nos infrastructures télécoms !
Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft génèrent plus de 55% du trafic internet sans contribuer proportionnellement au financement des réseaux. Pendant ce temps, nos opérateurs investissent près de 15 milliards d'euros par an pour entretenir et développer les infrastructures.
Pourquoi l'ARCEP doit étendre son pouvoir aux géants du numérique
Sébastien Soriano, ancien président de l'ARCEP, posait déjà le problème : "C'est bien beau d'avoir la neutralité des tuyaux, mais à quoi sert-elle si on ne s'intéresse pas aux robinets que sont les terminaux en bout de ligne ?"
L'ARCEP doit impérativement étendre son périmètre de régulation pour :
- Imposer une contribution équitable aux GAFAM pour le financement des infrastructures qu'ils utilisent massivement
- Réguler les "app stores" qui contrôlent l'accès aux services numériques et prélèvent des commissions exorbitantes
- Superviser les services cloud devenus stratégiques pour notre économie
- Garantir l'interopérabilité des plateformes pour éviter les effets de verrouillage
La feuille de route "Ambition 2030" de l'ARCEP va dans le bon sens en évoquant l'extension de la neutralité du net aux autres maillons de la chaîne numérique : "smartphones, grandes plateformes, cloud et IA génératives doivent respecter certains principes pour qu'Internet reste ouvert."
Un modèle de régulation à réinventer
Pour être à la hauteur des défis, l'ARCEP doit opérer une mue profonde :
1. Favoriser un marché télécom plus concentré et plus fort
- Adopter une attitude favorable aux rapprochements entre opérateurs, à condition qu'ils garantissent des investissements accrus
- Évaluer les marchés à l'échelle européenne plutôt que nationale
- Coordonner étroitement sa politique avec les autres régulateurs européens
- Privilégier la création de champions européens capables de rivaliser avec les géants américains et chinois
2. Établir une régulation asymétrique face aux GAFAM
- Obtenir des pouvoirs de contrôle sur les terminaux et les app stores
- Mettre en place une taxation proportionnelle à l'utilisation des réseaux
- Imposer des standards d'interopérabilité aux plateformes
- Collaborer avec d'autres régulateurs (CNIL, Autorité de la concurrence, ARCOM) pour une approche cohérente
3. Remettre la qualité au cœur des priorités
- Passer d'une logique de déploiement quantitatif à une approche qualitative
- Renforcer drastiquement les sanctions contre les opérateurs défaillants
- Imposer des délais stricts pour la reprise des malfaçons constatées
- Mettre en place une certification obligatoire des intervenants sur les réseaux fibre
À quand le grand virage ?
L'ARCEP se trouve à la croisée des chemins. Continuer sur la voie actuelle, c'est risquer de voir notre souveraineté numérique s'effriter face aux géants américains et chinois. Changer de cap, c'est oser une vision à long terme qui concilie consolidation du marché télécom et régulation musclée des GAFAM.
Sa nouvelle stratégie "Ambition 2030" trace des perspectives encourageantes, mais le chemin reste long. Pour se transformer en véritable "gendarme du numérique" et non plus seulement des télécoms, l'ARCEP devra convaincre le législateur d'élargir ses pouvoirs et adapter son expertise aux nouveaux enjeux.
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