Apple TV+ abandonne son "+" : confusion stratégique ou unification nécessaire ?

Apple TV+ devient Apple TV, créant une confusion avec le boîtier et l'app.

Apple TV+ abandonne son "+" : confusion stratégique ou unification nécessaire ?

Le 13 octobre 2025, Apple a discrètement enterré le nom "Apple TV+" au profit d'un simple "Apple TV". Une phrase lapidaire dans un communiqué de presse, une absence totale de visuels, et une stratégie qui soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Décryptage d'un changement de marque qui pourrait aggraver une confusion déjà légendaire.

Une annonce glissée en catimini dans un communiqué sur la Formule 1

Personne ne l'avait vu venir. L'annonce du changement de nom a été littéralement enfouie dans le dernier paragraphe d'un communiqué de presse annonçant la sortie en streaming de F1: The Movie avec Brad Pitt pour le 12 décembre. Une seule phrase : "Apple TV+ is now simply Apple TV, with a vibrant new identity." Pas de présentation officielle, pas de conférence de presse, pas de justification détaillée.

Selon plusieurs sources, cette approche minimaliste est surprenante pour une entreprise qui orchestre habituellement ses annonces avec un soin méticuleux. Apple n'a d'ailleurs pas répondu aux demandes de précisions de la presse spécialisée. Au moment de la rédaction, ni le site tv.apple.com ni les applications mobiles n'ont été mis à jour visuellement. Seule la bêta d'iOS 26.1, laisse entrevoir un nouveau logo arborant un effet "Liquid Glass" coloré.

Avec cette annonce au détour d'un communiqué, Apple a créé plus de confusion qu'elle n'en a résolu.

Le casse-tête des trois "Apple TV" : un problème bien réel

Si Apple justifie ce changement par une volonté de "simplifier" son offre, la réalité du terrain est plus complexe. Depuis 2007, le nom "Apple TV" désigne déjà le boîtier connecté de l'entreprise (concurrent de Roku et Amazon Fire TV). Depuis 2016, "Apple TV" est aussi le nom de l'application qui agrège contenus payants, locations iTunes et services tiers. Et depuis 2019, "Apple TV+" désigne le service de streaming par abonnement avec des productions originales exclusives.

Selon une étude citée par Gadget Hacks, 96 % des consommateurs américains connaissent Apple TV+, mais seulement 51 % peuvent expliquer la différence entre ce service et d'autres plateformes de streaming. À titre de comparaison, Netflix affiche un taux de compréhension de marque de 88 %. Plus frappant encore : de nombreux utilisateurs croient qu'il faut posséder un boîtier Apple TV pour accéder au service de streaming, alors qu'il est disponible sur des dizaines de plateformes (Samsung, LG, Sony, Roku, PlayStation, Xbox, etc.).

La décision d'adopter le même nom pour le service, l'app et le hardware n'est pas anodine. Comme le souligne TidBITS, les journalistes et créateurs de contenus vont désormais devoir jongler avec des périphrases : "regarder Apple TV (le service) dans Apple TV (l'app) sur Apple TV (le boîtier)". Un problème qui touche directement la visibilité du catalogue et la capacité à recommander des contenus.

Une stratégie qui va à contre-courant des bonnes pratiques marketing

L'ironie de cette décision réside dans le fait qu'Apple a toujours excellé dans l'art de nommer et différencier ses produits. La marque a d'ailleurs conservé l'autonomie de Beats après son rachat en 2014, comprenant que cette indépendance de marque ouvrait des portes vers un public plus large. Beats n'est jamais devenu "Apple Music Casque", et ce choix stratégique s'est révélé payant.

Un rapport de Wccftech suggère que ce changement de nom pourrait annoncer une unification plus large de l'écosystème entertainment d'Apple, possiblement en lien avec une nouvelle génération de boîtier Apple TV. Certains analystes évoquent même l'hypothèse d'un lancement matériel imminent qui justifierait cette harmonisation. Toutefois, au 14 octobre 2025, aucune annonce officielle n'a été faite.

La comparaison avec d'autres services d'Apple est également éclairante. Apple propose bien "iCloud" et "iCloud+" (avec stockage supplémentaire), ou "Apple News" et "Apple News+" (avec contenus premium). Le modèle "+ = version enrichie payante" était cohérent et compréhensible. En abandonnant cette logique pour le streaming vidéo, Apple crée une exception dans sa propre gamme de services.

Des chiffres qui révèlent les vrais défis d'Apple TV+

Au-delà de la question du naming, les données économiques et d'audience éclairent les véritables enjeux d'Apple dans le streaming. Selon les dernières estimations de JustWatch, Apple TV+ détient 8 % de parts de marché aux États-Unis au premier trimestre 2025 (contre 7 % au T4 2024), bien loin derrière Netflix (22 %), Prime Video (22 %) et Disney+ (16 %).

Les chiffres d'abonnés sont tout aussi révélateurs. Apple TV+ compte environ 45 millions d'abonnés dans le monde en 2025, contre plus de 300 millions pour Netflix. Plus préoccupant encore : Apple perdrait plus d'un milliard de dollars par an sur ce service, malgré une réduction de ses investissements de 5 milliards à 4,5 milliards de dollars annuels en contenu.

Ce contexte économique tendu a d'ailleurs poussé Apple à augmenter ses prix à trois reprises en trois ans. En août 2025, le service est passé de 9,99 à 12,99 dollars par mois aux États-Unis (soit une hausse de 30 %), après avoir déjà augmenté en 2022 (de 4,99 à 6,99 dollars) et en 2023 (de 6,99 à 9,99 dollars). La France reste pour l'instant épargnée avec un tarif maintenu à 9,99 euros.

Apple perd plus d'un milliard de dollars par an sur Apple TV+, malgré 45 millions d'abonnés et un catalogue salué par la critique.

Un catalogue de qualité qui ne trouve pas son public

Le paradoxe est cruel : Apple TV+ propose des contenus largement salués. Severance a obtenu 27 nominations aux Emmy Awards en 2025, Slow Horses et Foundation sont régulièrement classées parmi les meilleures séries actuellement diffusées, et CODA a remporté l'Oscar du meilleur film en 2022, une première pour un service de streaming.

Mais cette qualité ne se traduit pas en audience massive. Le catalogue d'Apple TV+ compte environ 300 titres en 2025, un chiffre dérisoire comparé aux milliers de contenus disponibles sur Netflix, Prime Video ou Disney+. Cette stratégie "qualité plutôt que quantité" fonctionne pour la critique, mais peine à fidéliser des abonnés qui recherchent une bibliothèque plus fournie.

Selon les données de TVision, 60 % des spectateurs d'Apple TV+ sont des femmes, et 45 % ont entre 35 et 54 ans. Cette démographie est intéressante mais étroite, et la plateforme peine à s'imposer dans les conversations culturelles quotidiennes. Quand Netflix bénéficie de discussions virales autour de chaque nouvelle série (Stranger Things, Wednesday, Bridgerton), Apple TV+ reste confiné à un public d'initiés, malgré l'excellence de ses productions.

Un pari risqué à l'heure de la consolidation du marché du streaming

Cette confusion de marque intervient à un moment crucial pour l'industrie. Le marché du streaming est en pleine consolidation, avec des plateformes qui fusionnent (Paramount+ et Showtime), disparaissent ou lancent des offres avec publicité pour atteindre la rentabilité. Netflix et Prime Video ont tous deux annoncé des plans pour améliorer leur profitabilité en 2025, tandis que Disney+ continue d'augmenter ses prix.

Dans ce contexte hyper-compétitif, la clarté de marque devient un atout stratégique. HBO a récemment rebaptisé Max en "HBO Max" pour simplifier sa communication. Apple fait le choix inverse en créant davantage d'ambiguïté. Cette décision est d'autant plus surprenante qu'Apple n'a pas annoncé de nouvelle offre publicitaire (contrairement à Netflix et Disney+), ni de palier d'abonnement intermédiaire. Le service reste à 12,99 dollars par mois aux États-Unis, sans évolution de son modèle économique.

Certains observateurs sur les réseaux sociaux suggèrent qu'Apple pourrait réintroduire le "+" plus tard pour désigner une offre premium sans publicité, si la marque devait lancer un tier avec publicité. Mais pour l'instant, cette hypothèse relève de la pure spéculation.